Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya est mort le dimanche 11 juillet en France. Alors que plusieurs dans le monde salue l’infatigable évêque qui aura combattu toute sa vie entre autres pour une société juste, Géopolis Hebdo choisit de rendre hommage au cardinal, non pas en soulignant son côté homme d’église, ou encore son côté de grand intellectuel, mais plutôt pour saluer son engagement pour l’instauration de la démocratie en République démocratique du Congo.
Cet homme qui est né un certain
7 octobre 1939 près d’Inongo (Maï Ndombe, ex-Bandundu, ouest du pays), dans une famille de chefs des Basakatas a une longue histoire de plus de 60 ans avec l’église catholique. Ordonné prêtre en 1963 à Rome, alors qu’il n’a que 24 ans, Laurent Monsengwo est fait évêque en 1980 par le Pape Jean-Paul II et, huit ans plus tard, Mgr Laurent Monsengwo est archevêque de Kisangani ; il deviendra celui de Kinshasa en 2007, charge qu’il laissera à Mgr Fridolin Ambongo en 2018. En 2010, Benoît XVI le fait cardinal. Selon le magazine Jeune Afrique, Laurent Monsengwo était le seul noir qui pouvait prétendre à la charge de Pape lorsque le Pape Benoît XVI démissionnait en 2013.
Archevêque de Kinsangani dans les années fin 80 et 90, il est propulsé au devant de la scène politique à la faveur de la Conférence Nationale souveraine. Mais nous allons d’abord rappeler le contexte historique.
Nous sommes en 1990. Au niveau mondial, c’est la chute du mur de Berlin, synonyme de la fin de la guerre froide. Ces événements, vont changer le sens des priorités de grandes puissances. De plus en plus les puissances occidentales considéraient que l’Afrique notamment, était l’espace du monde où le leadership politique devait forcément changer, le communisme ayant disparu et les impératifs sécuritaires n’étant plus la première préoccupation des grandes puissances. Un accent beaucoup plus prononcé était mis sur les questions des droits de l’homme.
Au niveau africain, la libération de Nelson Mandela en février 1990, avait fait souffler un vent d’espoir sur le continent. La Conférence Nationale au Bénin avait eu un retentissement partout en Afrique. Au Congo Brazzaville ou au Mali, la dictature militaire commençait à chanceller. Au Zaïre, ce bouillonnement démocratique ne passe pas inaperçu. Le Maréchal Mobutu organise des consultations populaires, comme l’avait fait le pouvoir colonial en 1958.
A travers le pays, les citoyens avaient pris la parole ouvertement et sans crainte pour critiquer le pouvoir Mobutu. Le Maréchal qui pensait avoir la main totale sur le pays se rend compte qu’il y a un vent terrible et irréversible qui souffle sur le pays. C’est pendant cette période que l’opposition vociferait avec l’UDPS, et les formations politiques réunies en ce qu’ils appelaient l’Union sacrée de l’opposition. Il se formait donc deux grands pôles politiques dans le paysage politique du pays. D’une part, l’union sacrée de l’opposition et de l’autre les formations restées fidèles à Mobutu, réunies en ce qu’ils appelaient la mouvance présidentielle. Entre ces deux pôles, s’interposait les églises. A l’exemple de l’église Catholique qui, a l’époque, se montrait proche des thèses de l’opposition, mais était toujours prête à faire des compromis au pouvoir.
Devant la soif d’avoir des assises sur le modèle de la conférence nationale du Bénin. Mobutu va se plier à cette exigence, mais le maréchal désigne lui-même le président de la conférence. Ce sera un pasteur du nom de Kalonji Mutambayi. Selon les témoignages des gens qui ont vécu à cette époque, « le pasteur Kalonji Mutambayi était un vieil homme, manipulé par Mobutu Sese Seko ». La conférence nationale souveraine va s’ouvrir donc sous la conduite de Kalonji Mutambayi. Quelques jours après l’ouverture des travaux, la Conférence Nationale souveraine tourne à la tour de Babel. Dans cette cacophonie générale, l’armée du Zaïre lance les pillages à Kinshasa et dans certaines grandes villes du pays.
Les travaux de la Conférence Nationale souveraine s’arrêtent. Ils vont reprendre sous la houlette d’un nouveau président qui a été cette fois-ci voté : c’est l’archevêque de Kisangani, le populaire Laurent Monsengwo Pasinya. Le prélat cinquantenaire va être donc propulsé au devant de la scène politique, fortement agité par le vent de la démocratisation. Le Zaïre découvre un homme à la voix lente,posée mais à la fermeté et à la liberté de ton légendaire. Cette liberté, Monsengwo l’aura conservée toute sa vie, lorsqu’il s’agissait de dénoncer ce qui n’allait pas.
Les travaux de la conférence vont définitivement être arrêtés en décembre 1992 avec un bilan jugé mitigé. Mais ces assises avaient jeter les bases de la démocratie pluraliste. Devant Étienne Tshisekedi qui voulait un changement rapide et radical, Monsengwo souhaitait, lui un changement progressif. Raison pour laquelle il va rencontrer Mobutu à Gbadolite dans la foulée des travaux de la conférence nationale souveraine. Mais le maréchal avait rejeté la quasi-totalité des recommandations de la conférence nationale.
En tant que Archevêque de Kisangani, Monsengwo avait très mal vécu la guerre dans cette ville, notamment entre l’Ouganda et le Rwanda. Il avait suggéré que soit organisé un tribunal spécial pour juger les auteurs du crimes de Kisangani, notamment.
Monsengwo avait été aussi choisi pour diriger Le Haut Conseil de la République/ parlement de Transition entre 1992 et 1996. Cette assemblée, en 1994, avait invité Mobutu à quitter le pouvoir et proposé le prélat pour le remplacer ad interim. Mais Mobutu s’accroche au fauteuil présidentiel grâce, dénonce Mgr Monsengwo, au « viol constant » de la Constitution.
Les rapports entre Laurent Monsengwo et le pouvoir Kabila ne sont ne plus des plus cordiales. Nous le savons, c’est en tant que Archevêque de Kinshasa que le prélat soutient les activités du Comité laïc de coordination qui exige l’organisation des élections et qui dit non à l’éventualité du troisième mandat du président de la République.
Après la répression des marches des chrétiens catholiques en 2017, Monsengwo va se fendre de cette déclaration. « Il est temps que les médiocres dégagent ». Cette phrase devenue culte, va faire un buzz et va être reprises par les opposants de l’époque et parallèlement, avait suscité une réaction vive des caciques du pouvoir de l’époque, qui ne d’empêchaient pas d’egratigner au passage le prélat sans forcément le citer.
Malgré le poids de l’âge qui commençait à se ressentir fortement, en 2020, le cardinal Laurent Monsengwo va tirer la sonnette d’alarme à l’intention du pouvoir.
Avec sa mort, disparaît un grand temoin, l’un des tout derniers hommes forts, ayant forcé le respect à la fois à Mobutu aux Kabila et à Tshisekedi.
Patrick Ilunga
Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com