Delly SESSANGA : « Il n’y aura de progrès démocratique véritable… que si un consensus est consolidé sur les 5 questions essentielles. »
Claudel-André LUBAYA : « Le changement suppose un dialogue permanent qui doit faire passer l’intérêt du peuple avant tout. »
Ils ont tant de choses en commun que le voir agir ensemble fait partie de la logique. A peine la cinquantaine tous les deux, ils ont une expérience politique suffisamment longue pour leur relatif jeune âge. En effet, Delly Sessanga et Claudel André Lubaya sont tous les deux, chefs de partis issus d’une opposition radicale, mais ayant une expérience dans la gestion de l’Etat suffisamment parlante pour rendre crédible leurs propos. Elus du Kasaï-central, ils sont à leur troisième mandat comme députés et avaient décidé, en 2018, de soutenir Félix Tshisekedi Tshilombo à la présidentielle, alors que leur plateforme ‘’Ensemble pour le changement’’ avait un autre candidat, en la personne de Martin Fayulu. Calculs politiques ou réal politique ou convictions tardives, l’histoire n’est pas encore bouclée, néanmoins, ils ont levé une option et la suivent sans ménagement. Géopolis hebdo les a contactés de manière séparée pour obtenir leur lecture pointue de la situation actuelle du pays. C’est pourquoi, nous publions l’intégralité de ces interviews canon faites pour Sessanga à partir de Paris et pour Claudel André Lubaya à partir de Kinshasa. (Interviews exclusives)
Géopolis Hebdo : Quelle lecture faites-vous du moment actuel au regard de la marche de la République ?
Delly Sesanga :
J’ai eu à le dire à vos confrères de Jeune Afrique en février dernier. Tout dépend de l’échelle à partir dela quelle on apprécie la situation. A l’échelle individuelle, on peut en retirer beaucoup de frustrations. Mais à l’échelle de l’histoire de notre pays, il y a eu un mouvement sur lequel il faut s’appuyer pour construire la suite, en corrigeant fermement les manquements mais en sachant avancer. Il faut surtout quitter le statu quo aussi bien dans le camp de l’opposition que celui de la majorité.
Claudel-André Lubaya :
Il est établi que le pays, au-delà de l’attente du nouveau gouvernement, est entré dans une nouvelle ère, celle marquée par le nouveau pouvoir et le changement à la tête du pays. Avec en amorce des signaux positifs dans le cadre de la décrispation et de l’aspiration active à l’implémentation d’un ÉTAT de droit effectif. D’aucuns n’ignorent par ailleurs que beaucoup reste à faire… Mais, il ne s’agit pas de la responsabilité d’un seul homme, loin de là. Il faut une implication de tous pour relever notre pays et mettre tout le monde au travail afin de conquérir le bien-être dont notre peuple a besoin. C’est plus qu’une responsabilité mais bien un devoir patriotique.
La République Démocratique du Congo (RDC) vit un moment inédit avec un leadership national appelé à composer avec une majorité différente, quelles sont les ressources que nous avons pour traverser cette période sans clash ?
Delly Sesanga :
L’humilité face aux leçons de l’histoire récente. Avec le recul, nous savons, par exemple aujourd’hui comme hommes politiques, que rien ne doit nous être interdits pour la conquête du pouvoir. Mais, il faut préserver le minimum d’Etat. Plus de 22 ans après le départ de Mobutu dans les conditions que l’on sait, nous ne sommes pas parvenus à rétablir l’Etat congolais au minimum de ce qu’il était à la fin de règne de Mobutu. Méfions-nous des trompe-l’œil qui peuvent cacher des désastres majeurs. Parce que, j’ai participé à la lutte armée, je mesure le prix de la paix.
Claudel-André Lubaya :
Il est vrai que la RDC vit un moment particulier de son histoire à travers la transition démocratique qui s’est opérée à la tête du pays le 24 janvier dernier. Néanmoins, le pays a entamé une nouvelle phase politique avec ses aléas certes. L’essentiel est de ne pas perdre de vue les attentes du souverain primaire. Bref, le changement qu’il attend ne sortira ni d’un blocage, ni d’un éventuel conflit entre factions dans une coalition ou opposition. Il suppose un dialogue permanent qui doit faire passer l’intérêt du peuple et du pays avant tout. Si tel n’est pas le cas, alors le peuple risque de désavouer les politiques.
Et ça sera une crise aux conséquences incalculables. Nous avons des ressources pour triompher de toutes les épreuves, le dialogue permanent dans la concession au nom de l’intérêt national restant le leitmotiv. Sachant que toute proportion gardée, la majorité politique n’octroie, ni ne signifie pas une détention du monopole de la vérité dans la gestion du pays. L’histoire récente de notre pays est là pour nous le rappeler. A bon entendeur salut !
Plusieurs questions d’ordre institutionnel se sont posées dans la gestion des crises post-électorales avec des prises de position assez particulières des uns et des autres au point que l’on a l’impression que le politique prime sur le juridique. Quelle est votre appréhension ?
Delly Sesanga :
C’est une tare congolaise que de voir la politique par le prisme du droit. Nous l’avons sans doute hérité des tribulations de l’indépendance mal préparée. La force du droit est dans sa modestie face au politique auquel il sert d’aiguillon, de cadre et de corset. Le politique n’est jamais aussi soumis au droit que quand il est libre, liberté conçue et assurée par le cadre juridique et légal. Et si le droit ne résout rien de nos jours, c’est parce qu’il n’y a pas de justice. Justice et droit sont deux concepts philosophiquement distincts du point de vue de l’action politique. La confusion entretenue entre les deux est parfois source des misères.
Claudel-André Lubaya :
En effet, nous avons assisté à une cacophonie institutionnelle, voire des contradictions publiques entre institutions dans le cadre de la gestion des contentieux électoraux. Loin des appréhensions, considérons que la crise ouvre pour des peuples conscients des opportunités pour reformer leur système. Dans le cas d’espèce, il nous appartient aujourd’hui de travailler à la consolidation de nos institutions, ce partant de leurs failles. Afin que l’esprit et la lettre de loi soient au-dessus de l’esprit et de l’interprétation partisane de la loi. C’est l’occasion d’engager les vraies réformes de nos institutions et les parfaire et surtout, les libérer de leurs tares fonctionnelles.
Aujourd’hui, les lignes ne sont pas nettes entre la majorité et l’opposition, pensez-vous qu’il faille simplement pour ce mandat faire appel à un gouvernement d’union nationale ?
Delly Sesanga :
Il y a deux aspects dans votre question : l’identité de l’opposition d’une part et la constitution d’un gouvernement d’union nationale d’autre part. Sur le premier aspect, je rappelle que je suis l’auteur de la loi organique sur le statut de l’opposition et puis, vous dire que dans le contexte institutionnel qui est le nôtre, l’opposition se cristallise face à une majorité et son gouvernement. Sur le second aspect, je rappelle une tribune que j’ai publiée en octobre 2007 dans le journal ‘’Le Potentiel’’. Il n’y aura de progrès démocratique véritable que dans notre pays que si un consensus est consolidé sur les 5 questions essentielles : le fonctionnement de la justice ; le fonctionnement de l’armée, de la police et des services de sécurité ; le fonctionnement de la décentralisation ; la politique des revenus et de distribution de la richesse nationale et enfin, la politique d’équipement du territoire. La dévolution du pouvoir n’en est que la conséquence et elle serait moins conflictuelle si, sur les 5 sujets, il y a consensus. Depuis l’indépendance, notre logiciel est inverse. Or, sans un minimum de construction et de consolidation de ce consensus, la dévolution du pouvoir par élection, coup d’Etat ou révolution sera toujours conflictuelle. Il nous faut résoudre cette contradiction. Le gouvernement d’union nationale peut y contribuer. Il n’est pas le seul moyen d’y parvenir. Il n’est donc pas nécessaire, si ceux qui gouvernent ont la modestie de respecter le champ du consensus national de celui de la gouvernance partisane.
Claudel-André Lubaya :
Nous sommes face à un nouveau pouvoir qui est incarné dans une coalition certes dont les lignes de démarcations ne sont pas très bien définies. Du moins et à priori et selon les dires, cette coalition partage en commun une même idéologie. Si tel est le cas, l’ouverture à d’autres partenaires dans l’idée de la convergence idéologique n’est pas à proscrire. Mais que je sache, le pays a besoin de l’expertise de tous. C’est au Président de la République (Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo) de fixer le cap et le contour de collaboration et la forme qu’il aura à donner à l’implication active des uns et des autres. Unité nationale, salut public, ne sont que de concepts. Ce n’est pas cela qu’attentent les congolais. Ils ont plutôt besoin de voir s’incarner le vrai changement, pas plus, pas moins.
Vous êtes élus en province et vous avez conscience des difficultés à la base, comment faire pour que les nouveaux gouverneurs ne tombent dans le piège de ne voir que Kinshasa et d’oublier la base au regard des exigences des parrains ?
Delly Sesanga :
En lien avec la précédente réponse, vous savez que c’est moi qui ai dirigé les travaux sur la réforme de la territoriale lors de la première législature. Je ne forme aucun espoir tant que la décentralisation sera vue comme un enjeu de pouvoir que de développement. La pratique que le pays a connu des pouvoirs provinciaux me fait dire qu’à ce jour : coût-opportunité, il vaut mieux arrêter cette expérience. A défaut, face aux contraintes constitutionnelles, je suis favorable à la nomination d’un représentant de l’Etat en province pour veiller sur l’intérêt général. Il faut en fait réviser la loi sur les provinces. Je veux réunir dans quelques jours le Bureau politique de mon parti, à mi-mandat de Président de l’ENVOL, depuis le Congrès de l’ENVOL, de Nioki de mars 2016, et des propositions seront faites sur toutes ces questions.
Claudel-André Lubaya :
La problématique de la gestion des provinces est envisagée dans un schéma global d’identification des goulots d’étranglement ataviques qui empêchent notre pays de sortir de la misère consacrée. Ces goulots d’étranglement sont multiples et vous en évoquez certains dans votre question (la corruption, le détournement des deniers public, etc.). Nous nous devons de mettre au centre de nos priorités le développement humain, cela. Avec une empreinte d’éthique, de responsabilité, de transparence et de redevabilité et de démocratie participative locale de contrôle de l’action publique. Tout ceci basé sur une culture managériale de performance.
Chaque législature a souvent un défi à relever au regard du contexte. Selon vous, quel est celui qui vous attend impérativement au Parlement ?
Delly Sesanga :
Sans ambages, pour moi, le défi aujourd’hui est celui de remettre le pays à l’endroit. C’est le combat pour l’équité : réduire le train de vie de l’Etat. Nous ne développerons pas ce pays en absorbant 70% des ressources nationales à l’entretien d’une classe politique et leurs dépendances fonctionnelles. C’est le moment pour cette législature.
Claudel-André Lubaya :
Certes, beaucoup de défis sont à relever, car le Congo est un grand chantier. Mais dans cette législature, la question de l’amélioration des conditions de vie de nos compatriotes dans les différents domaines qui touchent à leur bien-être nous tient à cœur (Conditions de travail, salaires, mobilité, les libertés publiques, soins de santé, entreprenariat, etc.). Bref, redonner la dignité et permettre à nos compatriotes de se sentir et être fiers d’être congolais.
A l’issue des 100 jours du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, avez-vous un message à lui adresser ?
Delly Sesanga :
Rien à dire. Je n’ai pas assez d’éléments pour émettre un avis sérieux. J’attends voir.
La situation actuelle ressemble à une transition sans Kabila. Certes nous n’avons pas avancé fondamentalement du point de vue de la transparence du processus électoral. Mais avoir un président qui cède sa place à un autre est une avancée indéniable dans l’histoire de ce pays. La démocratie réelle reste à construire. Mais la meilleure façon de le faire est dans le rassemblement des forces de la nation. Entre le nouveau président et les forces d’Ensemble, avec 68 députés nationaux, la proximité et l’histoire commune récentes devraient favoriser les possibilités d’œuvrer en commun.
Claudel-André Lubaya :
Rien de particulier.
Propos recueillis par WAK

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com