17 mai 1997 – 17 mai 2019, déjà 22 ans, jour pour jour, depuis que la révolution populaire menée par Mzée Laurent-Désiré Kabila, dit ‘’le Soldat du Peuple’’, atteignait son point d’achèvement. Depuis, le bilan de la démocratie en République Démocratique du Congo (RDC) est plus qu’élogieux : trois élections libres et pluralistes (2006, 2011 et 2018) dont la dernière a aboutie à la première passation de pouvoir civilisée. Mais qu’en pense M. Shambuyi Kalala, ancien cadre de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre, à l’époque Secrétaire Exécutif chargé des Organisations des masses ? Ci-dessous, l’intégralité de l’interview.

Géopolis Hebdo : Monsieur Shambuyi Kalala, le 17 mai 1997, étions-nous vraiment en présence de la révolution ? Peut-on parler de révolution 22 ans après ?

Shambuyi Kalala : Le terme révolution est toujours utilisé dans les différents contextes, voire plusieurs entendements. Mais l’entendement que les congolais ont utilisé, c’est celui effectivement d’un mouvement social qui arrive à renverser l’ordre sociopolitique établi pour en proposer un autre. L’aspect de la révolution, c’est aussi le fait que les Congolais sous le règne de Mobutu étaient dans une situation où ils se sentaient incapables de pouvoir la changer. Si ce régime s’écroule, ça devient quelque chose d’extraordinaire dans les têtes des gens et c’est dans ce sens-là qu’on peut déjà parler effectivement que c’était une révolution. Mais en même temps, quand nous voyons du point de vue des doctrinaires, des révolutionnaires, la révolution est un processus. Le Congo qui était un pays colonisé et qui était devenu indépendant mais l’indépendance était vécu comme une indépendance formelle aussi longtemps que les anciennes colonisatrices continuaient à avoir une mainmise sur le pays. Donc, il était devenu urgent de faire ce qu’on appelle la révolution nationale et démocratique qui allait justement donner la possibilité au peuple Congolais d’avoir le contrôle vraiment total sur l’appareil de l’Etat, sur l’orientation de sa société, en contrôlant bien entendu toutes ses richesses. Ça c’est un processus, ce qui fait que, même du temps où les Lumumba ont existé, même du temps de Mobutu, quand il y avait des manifestations, des guerres civiles, le processus ne s’interrompait pas, la révolution de l’AFDL fait partie intégrante du processus de la révolution nationale et démocratique, probablement non achevé parce que les mêmes problèmes sont encore vécus. Ce qui veut dire que le processus de la révolution nationale démocratique continue.

Les acteurs multiples et divergents obéissaient à quel leitmotiv ?

Disons qu’ici, vous faites allusion à l’insurrection armée qui était dirigée par le drapeau de l’AFDL mais qui avait aussi des alliés. Cette insurrection armée s’était divisée en trois fronts, c’est-à-dire, on avait la question interne d’abord que les Congolais voulaient quand même changer avec ce régime qui devenait totalement sourd et qui faisait pratiquement tout pour qu’il y ait approfondissement de la crise sociale, économique et politique pour que tout se désintègre. Donc, tu as les acteurs congolais qui viennent sur cette motivation. Il y avait aussi les acteurs qui sont venus là-dedans mais qui étaient plus liés à un des aspects du régime déchu, la question d’instrumentaliser la question tribale. Evidemment, par exemple, qu’il fallait arracher la nationalité aux Tutsis du Congo. On avait des gens qui venaient en fait avec l’idée d’une certaine réparation dans leurs têtes, de reconquérir ne serait-ce que leur nationalité. Au niveau de nos compatriotes de l’Est, il y avait aussi ce sentiment qui se retrouvait à l’intérieur de l’AFDL bien entendu. Dans une certaine mesure, on pouvait aussi avoir des gens qui représentaient, il faut toujours le reconnaitre parce que les puissances étrangères étaient impliquées dans cette guerre, notamment les Etats-Unis d’Amérique et d’autres puissances, qui avaient des raisons purement économiques et que certains acteurs congolais jouaient ce rôle dans ce contexte-là. Il y avait certaines motivations et ce sont ces dernières qui ont créé des difficultés pour la gestion de la victoire sur le régime de Mobutu. Il fallait gérer ces contradictions qui ont apparu au grand jour afin de stopper la réorganisation de la société et même aussi d’obtenir un contrôle total sur le processus.

Il y a un adage qui dit que la révolution bouffe toujours ses fils. Peut-il être vérifié et appliqué en RDC ?

Ça c’est un phénomène qui est universel. Même le Congo est concerné. Quand les gens vont dans les maquis, il n’y avait pas toujours des victoires. Il y avait des contradictions entre les révolutionnaires dont certains tombaient du fait des erreurs et du fait d’être des ennemis. Il en est de même avec l’insurrection armée qui a abouti à la victoire de l’AFDL. Plusieurs de ceux qui ont cru à cette lutte se sont retrouvés dans les différentes contradictions et conflits non seulement que certains se sont retrouvés en dehors de ce processus de gestion des affaires de l’Etat mais en même temps, certains se sont retrouvés exilés du fait de ces contradictions-là. On peut dire et ça été aussi vérifié au Congo, il y a aussi des révolutions qui mangent ses fils dans la mesure où quand on fait la révolution même vis-à-vis d’un ennemi avéré, il y a des révolutionnaires qui tombent ou qui sont fauchés du fait de cette lutte même s’il n’y a pas de contradictions entre les révolutionnaires.

Le retour des lumumbistes s’est opéré sur quel plan substantiellement par rapport à la révolution du 17 mai ?

D’abord, il faut dire qu’au Congo, le Lumumbisme est devenu comme une aspiration du moment où la coalition lumumbiste des années 60 s’est présentée comme le porte-étendard de l’indépendance réelle. N’oublions pas que lorsqu’il y avait la revendication de l’indépendance à la fin des années 50, il s’est formé trois courants parmi les Congolais. Il y avait le courant de ceux qu’on a appelé pratiquement à l’époque,  »des collaborateurs » composés des gens qui ne voulaient pas entendre parler de l’indépendance du tout et plus tard quand la Belgique a accepté d’accorder l’indépendance, il y avait de ceux-là qui ont accepté l’indépendance comme Moïse Tshombe sous certaines conditions, c’est-à-dire que les belges allaient continuer à jouir des mêmes droits tels que le droit d’être éligible. Il y avait un deuxième courant, celui de l’indépendance immédiate mais qui arrivait à restreindre ça seulement sur la question politique. C’est-à-dire, on voit des bourgmestres et des ministres mais qui ne mettaient pas vraiment le point sur ce que l’ensemble des masses devraient pouvoir avoir. Alors, vous avez le troisième courant, celui des révolutionnaires et nationalistes de l’époque qui disait qu’il ne suffisait pas d’avoir des ministres et des bourgmestres mais qu’il fallait que le système économique donne aussi la voix aux paysans et aux autres. La vie des paysans qui ont adhéré au mouvement de l’indépendance laissée à désirer du fait qu’il n’y avait pas d’eau, pas des droits aux soins médicaux et autres, et donc les paysans aspiraient aussi à cela. Si on restait seulement avec l’idée de l’indépendance cloitrée dans l’aspect de voir les Congolais devenir des ministres ou Président, cela veut dire que les autres couches sociales (les paysans et les ouvriers) continueront à vivre comme avant. C’est en ce moment-là que la tendance qui sera appelée plus tard Lumumbiste en coalition a parlé de l’indépendance immédiate et totale pour que le contrôle de l’économie et autre puisse donner à l’ensemble des Congolais un changement de leur qualité de vie, de leur niveau de vie. En ce moment-là, le Lumumbisme a mené une lutte très radicale. C’est pour cela qu’il y avait eu une véritable chasse à l’homme pour en assassiner le leader (Ndlr : Patrice-Emery Lumumba d’heureuse mémoire) et aussi, ses proches. Le Lumumbisme étant un esprit, heureusement la lutte a continué sous Kabila-Laurent et les autres.

Quels sont les acquis de la révolution ?

Il faut dire que, je l’avais déjà expliqué dans d’autres circonstances Lorsqu’on parle d’une révolution, il y a des changements qui sont introduites dans la manière de gérer le pays mais il y a aussi la question de l’état d’esprit. La victoire de l’AFDL à l’époque et Mzée Laurent-Désiré Kabila le disait si bien : « Le peuple devait se prendre en charge ». C’est-à-dire, devant ses difficultés, il faut que le peuple s’imprègne de l’esprit de solidarité d’ensemble pour se prendre en charge. Aujourd’hui, on ne saura pas enlever ça aux Congolais même si plus tard, les politiques congolais ont pris le terme « Se prendre en charge » seulement sur l’aspect violence en faisant référence à l’article 64 de la Constitution du 18 février 2006. Ça, c’est le formalisme mais l’état d’esprit des gens est qu’effectivement nous devons pouvoir nous prendre en charge, quitte à ce qu’il y ait un grand travail qui doit être fait pour que les aspects de la vie, que ce soit la question de la vie sociale, politique et économique, les différentes communautés doivent s’impliquer pour en faire aussi leur affaire. Je peux dire que cela (Se prendre en charge) peut rester comme un acquis. Il faut aussi dire que les acquis de la révolution, ce n’est pas seulement les matériels. C’est aussi beaucoup plus l’enseignement et le savoir, comment nous le transmettons à travers les générations.

Quelles leçons tirez-vous de cette révolution ?

Comme je viens de le dire, la révolution étant un processus, il y a des moments où il y a des pics. Tant que les choses ne marcheront pas convenablement comme les Congolais le souhaiteraient, le processus révolutionnaire continue. Quant aux leçons tirées de la révolution, je pense que la situation peut être désespérée pendant un temps mais quand les masses s’emparent justement des idées de vouloir changer les choses, même là où on pensait au laxisme et consorts, tout change et les gens reprennent leurs droits. C’est quand même une chose très importante que les Congolais s’intéressent à la gestion de la chose publique, d’en parler et de se sentir comme étant des personnes qui ont droit à ce qu’ils exigent. Il ne faut pas avoir l’attitude des jouisseurs seulement mais aussi réfléchir sur comment nous pouvons participer à ce qui se fait pour qu’il y ait les conditions des biens matériels et moraux et pour un partage acceptable pour l’ensemble des filles et des fils de la République.

Au regard de l’alternance politique qui prend ses racines dans cette révolution, comment définissez-vous les moments politiques actuels ?

Moi, je pense qu’il y a des aspects de continuité. Pourquoi ? Parce que, le peuple Congolais est resté le même. Les mouvements peuvent avoir des colorations différentes du point de vue des acteurs mais le peuple Congolais lui reste le même. Il y a un effet plus ou moins aussi sélectif, c’est-à-dire que l’on veut que les aspects positifs soient retenus pour pouvoir faire une sorte de sommation et d’ajouts qui permettent à ce que leur situation change totalement. Puisque ce qui importe, toute révolution n’a de sens que s’elle donne au peuple une capacité de se défendre mieux et de vivre mieux. Les exigences restent les mêmes même si au fond, il y a des colorations différentes des mouvements. Nous pensons que les gens ne doivent pas restés que sur les échecs de l’AFDL mais ils doivent aussi voir les aspects positifs de la révolution du 17 mai 1997. Par rapport à ce qui se fait maintenant, on doit pouvoir en tirer des leçons. Par exemple, quand le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo passe, le peuple lui rappelle son slogan de campagne « Le peuple d’abord », n’est-ce pas un élément révolutionnaire ? Le peuple ne voit que ce qui est positif, ce qui va lui permettre de vivre avec dignité et de pouvoir se projeter dans l’avenir et enfin, être considéré comme tous les autres peuples du monde.

Avez-vous un dernier mot ?

Tout ce que nous pouvons dire est que la crise congolaise continue. Il y a certes des tentatives de résolution mais cette crise politique, économique et sociale est encore profonde. Mais il y a des nouvelles tentatives de résolution de la crise, il faut les saisir et voir si celle-ci peuvent nous aider à faire avancer la lutte. Par rapport à ce qui se passe maintenant, il n’est pas question de se résigner mais il faut qu’il y ait plus de masses, des gens qui s’y intéressent afin de nous permettre de faire encore des pas.

Propos recceuillis par Dieudonné Buanali

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