Alors que l’Afrique se pressait à saluer la mémoire de l’ancien premier ministre Kényan Raila Odinga, décédé le 15 octobre en Inde, la RDC ne semblait pas prompte à saluer ce leader panafricaniste dont la mort marque la fin d’une ère, celle de grands leaders de l’opposition, ayant combattu par la force de conviction et des valeurs démocratiques.
Le Congo s’est finalement rattrapé à travers un message à la fois touchant, mais qui zappe totalement le président William Ruto, qui pourtant porte ce deuil national dans son pays, en tant que chef de l’État.
Le message du président Congolais sous la plume de sa porte-parole Tina Salama, pleure Raila Odinga, le dépeignant comme « un exemple de résilience et de courage », l’homme qui par son action, a su jouer un « rôle crucial dans la promotion de la paix, de l’unité nationale et de la bonne gouvernance ». Le président Tshisekedi adresse son message de réconfort à « la famille » du leader disparu, « au peuple du Kenya et aux leaders politiques Kényans ».
La raison de cette frilosité ou celle de la non mention du nom du président Kényan William Ruto dans le message de son homologue Congolais, est la coïncidence avec une réunion d’opposants Congolais à partir du 14 octobre, un jour avant le décès de l’ancien premier ministre.
Ce 14 octobre, plusieurs opposants congolais se sont retrouvés à Nairobi pour un conclave afin de « réfléchir sur la RDC ». Parmi eux, Joseph Kabila, ancien président de la RDC, condamné à mort par la justice militaire congolaise il y a deux semaines. La réunion a vu la participation de certaines figures qui se sont affichés aux côtés des leaders de l’AFC/ M23 comme Franck Diongo.
Plusieurs figures connues de l’opposition dont d’anciens ministres vivant aujourd’hui en exil ont fait le déplacement de Nairobi. Également présent dans la capitale Kényane, l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo, lui aussi récemment condamné à dix ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics.
Pour le Vice-premier ministre en charge de l’intérieur et sécurité Jacquemain Shabani, il s’agit d’une « messe noire organisée par des condamnés de justice contre notre pays ». Mr Shabani a ajouté que « Le gouvernement congolais s’assumera contre les acteurs et initiateurs de cette réunion s’il est prouvé qu’elle prépare la déstabilisation des institutions de la République ».
La justice Congolaise a établi que Joseph Kabila, condamné pour « trahison, crimes contre l’humanité, torture, viol, participation à un mouvement insurrectionnel…, est le chef des rebelles de l’AFC/ M23.
Quant au Kenya, dont la capitale a accueilli le conclave des opposants, le vice-premier ministre de l’intérieur et sécurité déclare que « ce pays [le Kenya] a été suffisamment identifié par rapport à sa capacité à accueillir des réunions qui projettent le chaos au Congo. Nous suivons ça de près », a-t-il dit. Il a ensuite assuré que pour le Kenya, le gouvernement prépare « une communication responsable ».
C’est donc William Ruto qui déroule une fois encore le tapis rouge aux anti-Tshisekesi. Est-ce une bourde de plus ou une position hostile assumée ? Des questions se posent.
Depuis près de deux ans, la RDC et le Kenya connaissent une relation tumultueuse. Le Congo reproche au Kenya sa sympathie avec les rebelles du M23. C’est en décembre 2023 que la brouille diplomatique s’est installée entre les deux pays, lorsque Corneille Nangaa, lançait son mouvement rebelle AFC, et à partir de Nairobi. Il annonçait par le même coup son intention de faire alliance avec d’autres groupes armés dont le M23 dans le but de renverser le président Félix Tshisekedi.
Malgré les protestations des autorités Congolaises, le président William Ruto avait argué que le Kenya est un pays démocratique qui ne pouvait arrêter quelq’un sur base de ses déclarations.
Pourtant le même Kenya de Ruto a enlevé, puis livré à l’Ouganda Kizza Besigye, opposant Ougandais, rival de Yoweri Museveni, aujourd’hui emprisonné à Kampala.
Pour ce qui est de la RDC, plusieurs autres épisodes ont marqué négativement la relation avec le Kenya sous le président William Ruto,
notamment la désignation, il y a quelques semaines d’un consul pour Goma, ville aux mains du M23. Les autorités de Kinshasa avaient considéré cet acte comme une inadmissible reconnaissance de l’administration parallèle que le M23 a installé dans une partie du Nord et Sud-Kivu.
Patrick Ilunga