La tentative d’évasion survenue dans la nuit du 1er au 2 septembre dernier à la prison centrale de Makala, marquée par la mort de 129 détenus, dont 24 par balles, a ravivé les tensions entre le ministère de la Justice et les magistrats de la République démocratique du Congo. Peu après ce drame, largement commenté, le vice-ministre en charge de la Justice, Samuel Mbamba, a ouvertement accusé les magistrats d’être responsables de cette évasion ratée en raison du grand nombre de prévenus qu’ils envoient à la prison. En conséquence, il a émis la note n° 008/CAB/ME/MIN/J&GS 2024 du 2 septembre 2024, interdisant le transfert des détenus vers les prisons de Makala et de Ndolo.
Ce malentendu se reflète également dans les déclarations du ministre de la Justice et Garde des Sceaux, revenant d’une mission au Congo profond. Il a affirmé que l’incident à Makala constituait un sabotage des actions du chef de l’État par les magistrats, qui expédient les prévenus en grand nombre chaque semaine. Il a promis des sanctions sévères contre les « désignés ». Ce malgré la demande du président du Conseil Supérieur de la Magistrature, CSM, Dieudonné Kamuleta, qui a appelé hier l’opinion nationale, au sortir de son audience avec la Première ministre Suminwa, à ne pas opposer le ministère de la Justice et son institution.
Cet événement tragique survient au moment où le ministre de la Justice a initié une série de libérations conditionnelles dans le but de désengorger la prison centrale de Makala, la plus grande en République démocratique du Congo, construite en 1957 pour accueillir 1 500 pensionnaires à une époque où la ville comptait 250 000 habitants. Aujourd’hui, la prison héberge plus de 15 000 détenus, alors que Kinshasa compte 15 millions d’habitants.
Face aux accusations du vice-ministre de la Justice, les tensions entre le ministère de la Justice, représentant le gouvernement, et les magistrats, appartenant au pouvoir judiciaire, ont de nouveau éclaté. En effet, le Bureau du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s’est réuni ce mercredi 4 septembre, et une déclaration virulente a été rendue publique.
Dans ce document, le Conseil supérieur de la magistrature rappelle la capacité d’accueil initiale de cette prison, tout en affirmant que la surpopulation actuelle est due à l’augmentation démographique et à la montée de la criminalité. La solution, selon le CSM, réside notamment dans la construction de nouvelles prisons. « Avec l’augmentation exponentielle de la population et l’accroissement de la criminalité, la solution appropriée pour résorber la surpopulation carcérale à la prison de Makala passe par la construction de nouvelles prisons et maisons d’arrêt, ainsi que par l’application stricte de la loi sur la détention et du régime pénitentiaire », peut-on lire.
Pour le Bureau du Conseil supérieur de la magistrature : « Certes, l’arrestation est l’exception, mais face à la hausse de la criminalité dans la ville, les arrestations et les détentions opérées par les magistrats sont une réponse légale et adéquate pour sécuriser la population. En effet, le suspect est toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction ou violé la loi pénale. » Cependant, poursuit le CSM, « demander au magistrat de ne pas arrêter ni transférer un suspect constitue une violation flagrante de la loi et une autre manière d’installer, au sein de la société congolaise, les règles de la vengeance privée et la loi du plus fort. »
Le vice-ministre Samuel Mbemba est accusé par le pouvoir judiciaire de la RDC d’exposer les magistrats à la « vindicte populaire » par ses déclarations, alors qu’il existe un cadre de concertation entre le Conseil supérieur de la magistrature et le ministère de la Justice pour traiter des questions transversales relatives à l’administration de la justice.
Cet accrochage ouvert entre les deux pouvoirs fait suite à celui observé mi-août, marqué par les déclarations des syndicats des magistrats, SYMCO et SYNAMAC, accusant le Garde des Sceaux Mutamba de les humilier et de prendre des initiatives de réformes sans consulter les acteurs du secteur. La paix a été rétablie après des échanges entre les deux parties dans le cadre de concertation qui les a réunis à cet effet. Un schéma similaire est vivement souhaité par plusieurs observateurs pour promouvoir la paix entre institutions.