Rentrée judiciaire 2025-2026 I Une justice en quête de réforme, d’éthique et de cohérence

Ce mercredi 15 octobre 2025, la Cour de cassation a solennellement ouvert l’année judiciaire 2025-2026, en présence du Président de la République, des hauts magistrats, des chefs de corps constitués, et de nombreuses autorités judiciaires et politiques. L’événement, marqué par les traditionnels discours du bâtonnier national, du procureur général et du premier président de la Cour, a donné le ton d’une année placée sous le signe de la réforme en profondeur de l’appareil judiciaire.

Le bâtonnier national : « L’État doit assumer seul la responsabilité des fautes judiciaires »

Dans une prise de parole audacieuse, le bâtonnier national a lancé un plaidoyer pour la suppression de la procédure de prise à partie des magistrats, considérée comme une menace à leur indépendance.

« Et si la procédure spéciale de prise à partie de magistrats était supprimée en droit judiciaire congolais ? », a-t-il questionné d’emblée, se démarquant clairement d’une tradition jugée obsolète.

Appelant à un changement de paradigme, il a soutenu que les fautes des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions relèvent du dysfonctionnement du service public de la justice, dont l’État est le seul responsable : « Le magistrat n’est que le bras séculier de l’État. Il en est l’organe, son doigt, si l’on veut. Le bras ne peut pas se plaindre de ses propres doigts », a-t-il illustré.

Il prône ainsi un système où le régime disciplinaire devient le seul mécanisme de sanction des magistrats, remplaçant la prise à partie par une action en responsabilité exclusivement dirigée contre l’État.

Le procureur général : « Érigeons l’enrichissement illicite en infraction autonome »

Très attendu sur le thème de la corruption, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, a centré son mercurial sur la nécessité impérieuse d’une réforme législative pour lutter efficacement contre l’enrichissement illicite, qu’il qualifie de « manifestation pernicieuse de la corruption ».

« Il faut aller plus loin, creuser la racine. Et cette racine, c’est l’enrichissement illicite. »

Il a plaidé pour l’incrimination autonome de cette infraction, distincte de la corruption classique, ce qui permettrait de sanctionner les disproportions flagrantes entre patrimoine et revenus, même sans preuve directe de détournement.

« Ériger l’enrichissement illicite en infraction autonome permettrait de sanctionner toute disproportion injustifiée entre le patrimoine et les revenus légitimes, sans devoir prouver un acte de corruption. »

Dans une déclaration forte, il a appelé à l’inversion de la charge de la preuve : « Il incombera à celui qui est accusé d’enrichissement illicite de prouver l’origine licite de ses biens. »

Enfin, il a invité le législateur à élaborer une loi spécifique, comprenant des mécanismes de recouvrement des avoirs, la protection des lanceurs d’alerte et la spécialisation des magistrats.

Le premier président de la Cour de cassation : « Il faut moraliser profondément la profession d’avocat»

Clôturant la séance, Élie-Léon Ndomba Kabeya, premier président de la Cour de cassation, a choisi de s’écarter des discours traditionnels pour s’attarder sur le rôle de l’avocat et les dérives qui ternissent la profession.

« L’avocat n’est pas seulement un professionnel du droit, il est un acteur clé de la justice, un responsable. »

Il a salué ceux qui exercent leur métier avec intégrité, tout en dénonçant la corruption, les collusions avec certains magistrats, les procédures détournées, et une véritable mafia judiciaire dans certains cas.

« Il est inadmissible d’entendre un avocat dire à son client : “J’ai fait mon travail, fais le tien”, en parlant d’un contact avec le juge. »

Face à ces dérives, il a appelé à une collaboration renforcée entre les juridictions et les barreaux, notamment par le strict respect des règles d’intervention inter-barreaux et l’identification claire des avocats devant chaque juridiction : « Je compte instruire chaque juridiction d’exiger de tout avocat qui comparaît devant elle de décliner son barreau d’appartenance, et, en cas de déplacement, de présenter une attestation signée de son bâtonnier. »

Il a enfin salué les efforts du ministère de la Justice et du Conseil supérieur de la magistrature pour renforcer la lutte contre la corruption systémique, y compris au sein des professions judiciaires.

Une rentrée sous le signe de l’exemplarité

La rentrée judiciaire 2025-2026 s’ouvre donc dans un climat de lucidité et de volonté de réforme. Les appels à l’exemplarité, à l’éthique, à une plus grande cohérence des lois, et au renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire se sont multipliés dans un ton grave mais résolument tourné vers l’avenir.

Il ne reste désormais qu’à voir si les discours trouveront un écho dans l’action législative et institutionnelle. Car, comme l’a rappelé le procureur général : « Il s’agit là d’un signal fort, d’un message clair : la République ne peut plus se permettre la complaisance. »

Don Momat

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