A l’heure où le débat s’enflamme autour de la révision ou le changement de la constitution et que dans l’arène politique chaque acteur y va de son interprétation, le congolais lambda se perd un peu. Dans ce champ de tirs croisés, tout est dit. La question de la réforme constitutionnelle est-elle une nécessité pour la société congolaise ? Est-ce une question purement politicienne ? Comment se soustraire du débat populiste pour appréhender cette question dans toute sa complexité ? Une conférence-débat a été organisée à l’Université de Kinshasa mercredi 4 décembre. Quatre professeurs de la faculté de droit de l’Unikin ont partagé leurs réflexions et apporté leur éclairage de scientifique.
Devant un parterre des journalistes, des étudiants et autres praticiens du droit, les professeurs Félicien Kalala, Christian Kabange, Grâce Muwawa et Camille Ngoma ont expliqué les subtilités autour de la Constitution. La conférence était placée sous un thème explicite : « l’ordre constitutionnel face aux mutations de la société. Du populisme au discours académique ». Selon ces professeurs qui forment un think tank, en tant que juriste, cela est normal qu’ils puissent réfléchir sur la question qui se pose. « Il était question de réfléchir sur l’adéquation entre l’ordre constitutionnel et les mutations sociales. Ça nous a amené à discuter de la question brulante de l’heure en rapport avec la révision ou le changement de la constitution et l’accent a été mis sur la nécessité d’élever le débat. C’est vrai que le débat populiste c’est important parce que si on va au référendum, ce sont tous les citoyens qui vont voter, mais à un moment il faut relever le débat au niveau académique pour arriver à voir toutes les perspectives en respectant la liberté académique de ceux qui sont d’accord avec les perspectives d’un changement, d’une révision et ceux qui ne le seraient pas », a déclaré le professeur Christian Kabange. Pour lui, « il faut faire une distinction entre ce qui relève d’une question d’opinion qui peut diviser les politiciens, celle de savoir si la constitution est bonne… elle n’est pas bonne… elle est belligérante, etc et la réalité du point de vue technique ». La dimension technique est qu’une « constitution n’est jamais statique », a noté le professeur Kabange. « Lorsqu’on parle de mutations sociales, cela veut dire qu’une constitution doit toujours être en adéquation avec le contexte politique économique et sociale », a ajouté Christian Kabange.
Le débat est donc lancé, et ces enseignants du droit préviennent : « Une constitution, même si elle serait la meilleure du monde, il y a toujours des choses à revoir, il y a toujours des choses à changer et de ce point de vue, il y a des choses à changer dans la constitution actuelle. Une constitution n’est jamais statique, elle doit subir des évaluations à un certain moment pour savoir qu’est-ce qu’on peut améliorer, qu’est-ce qu’on peut changer ».
Des articles sont déjà ciblés pour être soit modifiés, soit élagués ou changés, parmi lesquels les articles 2, 5, 10, 13, 70…et 217. Le fameux article 217 à la base d’un débat houleux dans la classe politique est appelé aussi à être clarifié, ont suggéré les professeurs. Bien que ces scientifiques disent clairement que ce prescrit n’oblige nullement la RDC à céder des terres aux autres Etats comme une opinion le laisse entendre, ils conseillent néanmoins à lever l’équivoque autour de cet article que l’on trouve dans plusieurs lois fondamentales africaines. Le professeur Camille Ngoma a identifié 33 articles qui doivent être modifiés afin de rationaliser le fonctionnement de l’Etat, dit-il.
Pour rationaliser le fonctionnement de l’Etat et des institutions, son collègue Christian Kabange propose la suppression du Sénat. La chambre haute pèse « 100 millions de dollars chaque année au budget de l’Etat », a-t-il fait savoir. Au-delà du Sénat, c’est tout le fonctionnement des institutions qu’il convient de questionner et remettre en cause, suggère le professeur Kabange. Le professeur Félicien Kalala a quant à lui constaté qu’il y a un fossé entre les textes de lois et les pratiques quotidiennes dans le chef même des autorités. L’académicien note que le débat autour des lois est important, mais a-t-il insisté, la difficulté n’est pas tant les lois, mais plutôt la compréhension et l’intériorisation de celles-ci par les congolais. « La difficulté avec la RDC n’est pas d’ordre normatif, mais plutôt ontologique, anthropologique ou sociologique », a affirmé Félicien Kalala, avant d’indiquer que les lois sont en réalité une superstructure qui doit s’appuyer sur l’infrastructure. Et cette infrastructure n’est rien d’autre que la culture de chaque société.
A l’issue de l’exposé de ces professeurs, un échange a été engagé avec des participants de cette conférence-débat.
Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
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