Le président togolais Faure Essozimna Gnassingbé a pris ses nouvelles fonctions de médiateur dans la crise congolaise. Il a effectué une visite éclair à Kinshasa où il a eu un face-à-face avec son homologue congolais Félix Tshisekedi. Auparavant, le même mercredi, le président Gnassingbé a été à Luanda où il a rencontré le président João Lourenço, désormais ancien médiateur dans la crise qui oppose la RDC au Rwanda. Faure Gnassingbé prend donc la suite du chef de l’État angolais. Du lointain Togo, il est venu prendre le pouls du conflit des Grands Lacs et comprendre les contours du processus de Luanda, désormais doublé du processus de Nairobi que conduisait l’ancien président kenyan Uhuru Kenyatta.
« Ce choix, loin d’être symbolique, consacre un leadership reconnu pour sa discrétion, sa constance et son efficacité dans la résolution pacifique des conflits », a écrit la présidence togolaise, ce mercredi 16 avril. Bien que, au Togo, les administrateurs du chef de l’État se réjouissent que l’Union africaine ait jeté son dévolu sur Faure Gnassingbé, en signe de reconnaissance de son leadership et de ses qualités, le travail qui attend le président togolais ne sera pas facile dans cette région où les initiatives diplomatiques se multiplient sans jamais éteindre une crise qui secoue la région depuis maintenant 31 ans.
Il faut d’abord dépasser les rivalités entre les parties prenantes et bénéficier de la confiance à la fois du Rwanda, de la RDC, des rebelles (le M23/AFC) et, accessoirement, de tous les autres groupes armés. C’est le premier exercice auquel le fils Eyadéma devra s’atteler. À sa première venue dans les Grands Lacs, il a été à Kinshasa et à Luanda sans faire une visite similaire à Kigali. Mais ce détail ne devrait pas poser un quelconque problème à sa mission. Chacun sait que le chef de l’État togolais voue un respect au président Paul Kagame, fait remarquer un connaisseur de la région des Grands Lacs.
En effet, le 19 janvier de cette année, Faure Gnassingbé a effectué une visite de travail à Kigali où des accords de coopération ont été signés avec son homologue rwandais sur plusieurs secteurs dont l’agriculture, le commerce, le financement vert et le secteur des énergies, entre autres.
Influence contradictoire de la SADC et de l’EAC
Le président togolais hérite d’une tâche devant laquelle les présidents Uhuru Kenyatta et João Lourenço ont échoué, non pas qu’ils n’ont pas essayé de déployer l’énergie nécessaire et le temps, mais ils se sont heurtés à une complexité multiforme du conflit dans les Grands Lacs. La première complexité réside dans la position géographique de la RDC. Le pays appartient à la fois à la SADC, à la communauté des États d’Afrique de l’Est et encore à la communauté des États d’Afrique centrale (CEEAC) et à la CIRGL.
Un assemblage d’organisations, à la lecture et aux agendas parfois divergents sur le Congo.
Le Congo semble s’ouvrir plus favorablement à la SADC dont la mission armée (la SAMiDRC) est encore sur le sol congolais. L’EAC dont la RDC est tout aussi membre, est vue à Kinshasa comme un axe où trônent des pays aux visées maléfiques contre le Congo. Actuellement, le Rwanda est accusé de soutenir le M23/AFC en armes, mais aussi avec les troupes. Plusieurs en RDC accusent aussi l’Ouganda de « participer également à l’agression contre le Congo ». Le speaker de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, est celui qui a souvent dénoncé l’Ouganda. Cette méfiance s’étend même au Kenya, dont le président William Ruto était souvent critiqué à Kinshasa pour sa sympathie ou sa partialité (supposée ou vraie) à l’endroit du président rwandais dans le conflit avec la RDC. Les récentes accusations de l’ancien vice-président kenyan Righati Gachagua à l’endroit de Ruto ne sont pas pour faciliter les choses. Gachagua a affirmé que William Ruto, pourtant président de l’EAC, est en collusion avec le M23, dans la contrebande de l’or congolais.
En tant que président de l’EAC, le président kenyan William Ruto sera certainement l’un des interlocuteurs de Faure Gnassingbé sur la question congolaise. Le chef de l’État togolais pourrait être amené aussi à parler de la crise congolaise avec la SADC. Comment va-t-il faire pour se soustraire de l’influence des deux blocs afin de mener efficacement une médiation dénuée des agendas divergents ?

Entrechoc des initiatives diplomatiques
L’Union africaine tente de reprendre la main dans un conflit où des initiatives diplomatiques et les noms des médiateurs s’entrechoquent. Il y a d’une part l’émir du Qatar avec une diplomatie silencieuse, mais qui en très peu de temps a semblé faire avancer le processus de paix en RDC, en réussissant à réunir le président rwandais et son homologue congolais le 18 mars, à la surprise générale. Même l’Union africaine et son médiateur João Lourenço avaient été pris de court. Il y a quelques semaines, la Turquie avait offert la même médiation. La proposition turque avait été rejetée par la RDC qui avait argué qu’il faut « des solutions africaines aux problèmes africains ». L’EAC et la SADC avaient proposé une médiation conduite à la fois par Uhuru Kenyatta, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo et l’ancien premier ministre éthiopien Hailemariam Boshe. Puis est venue l’autre solution d’une médiation à cinq : l’ancienne présidente éthiopienne Sahle-Work Zewde, l’ancien président sud-africain Kgalema Motlanthe, Catherine Samba-Panza, ancienne présidente de la Centrafrique, Olusegun Obasanjo et Uhuru Kenyatta. Un attelage diplomatique complexe pour un conflit qui ne débouche toujours pas sur une concrétisation de paix. Tout ceci, ajouté à l’initiative du Conseil de sécurité, avec la résolution 2773 qui incite à la paix. Les États-Unis d’Amérique ne sont pas en reste. L’administration Joe Biden a été très active en imposant des cessez-le-feu. L’administration Donald Trump a récemment envoyé un émissaire dans la région. Malgré toutes ces initiatives, des dizaines de cessez-le-feu ont été violés. Aujourd’hui encore, « la situation n’a pas changé, les combats continuent et la situation humanitaire est toujours aussi dramatique au Nord et Sud-Kivu », à l’Est de la RDC, a affirmé mercredi au Conseil de sécurité Thérèse Kayikwamba, ministre congolaise des Affaires étrangères.
Exigences de la RDC, des rebelles et du Rwanda
Faure Gnassingbé a déjà été briefé sur le dossier ‘conflit congolais’. Il connaît certainement les préoccupations du Rwanda à propos des FDLR présents en RDC ; il connaît les accusations de la RDC à propos du soutien que Kigali offre au M23/AFC ; le président togolais doit certainement savoir que contrairement à la réalité d’il y a quelques semaines, actuellement la RDC se dit ouverte à parler de paix directement avec le M23/AFC, mais ce sont maintenant les rebelles qui posent des conditions : Parmi ces conditions, le M23 exige du président Félix Tshisekedi une « déclaration solennelle exprimant la volonté politique de son régime de mener des négociations directes avec les AFC/M23 ». Le M23 exige également « l’annulation de toutes les condamnations à mort, poursuites, mandats d’arrêt et l’offre d’une récompense à toute personne qui aidera le régime de Kinshasa à arrêter les dirigeants et cadres des AFC/M23, ce qui permettra d’entamer des négociations politiques ». L’une des conditions est également de « mettre fin et criminaliser tous les discours de haine, qui sont souvent suivis d’actes d’oppression… mettre fin à tous les actes de discrimination et de déni de nationalité à l’encontre des communautés susmentionnées ; la libération immédiate de tous les civils ou militaires arrêtés et/ou accusés de collusion avec les AFC/M23 en raison de leur race ou ethnie, ou de leurs relations professionnelles, amicales ou commerciales avec des membres des AFC/M23 ; l’abrogation de toutes les autres mesures restrictives prises par le régime de Kinshasa à l’encontre des AFC/M23 pour permettre la tenue et l’aboutissement des négociations politiques ».
De quels leviers dispose le président togolais pour s’en sortir dans un conflit aussi complexe ? Le ministre togolais des Affaires étrangères, Robert Dussey, est optimiste : le président Gnassingbé « contribuera activement à la recherche d’une paix durable », dit-il.

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com