RDC – Ouganda I Un refroidissement diplomatique en vue ?

La République démocratique du Congo va demander des explications à l’Ouganda à propos de la réouverture par Kampala des postes frontaliers. Le président Félix Tshisekedi a chargé la ministre des Affaires de « prendre des dispositions diplomatiques pour obtenir des explications claires sur la réouverture de notre frontière dans les zones occupées par les ennemis ». C’était au cours du Conseil des ministres que le chef de l’État Congolais a abordé cette question. L’Ouganda a rouvert jeudi plusieurs postes-frontières avec la République démocratique du Congo (RDC), y compris des zones proches des positions tenues par le mouvement rebelle du M23.

Le porte-parole de l’armée ougandaise, Felix Kulayigye, a indiqué que le président, Yoweri Museveni, avait ordonné la réouverture des postes-frontières de Bunagana, Ishasha et Busanza, etc.

« Il est vrai que le président a ordonné hier soir la réouverture des postes-frontières et en effet, ce matin, le poste-frontière de Bunagana a été rouvert », a affirmé M. Kulayigye. La réouverture des postes frontaliers veut dire une coopération assumée avec les rebelles.

Selon les autorités ougandaises, les postes frontaliers étaient fermés depuis fin janvier.

Le chef des forces de défense ougandaises, Muhoozi Kainerugaba, avait demandé mercredi soir à tous les commandants militaires stationnés le long de la frontière commune d’autoriser les personnes à circuler librement.
L’Ouganda n’est pas à son premier signal paradoxal. Kampala est habitué à cet imbroglio diplomatique avec son voisin le Congo.

Rapport de l’ONU

Selon le rapport de l’ONU, les troupes ougandaises de l’UPDF ont été déployées en janvier 2025 dans les territoires de Mahagi et Djugu sans notification préalable ni accord officiel avec Kinshasa, violant ainsi la souveraineté congolaise. Cette présence étrangère non coordonnée a, selon les experts onusiens, aggravé les tensions intercommunautaires dans une région déjà marquée par les conflits ethniques et les xactions armées.

Plus troublant encore, les unités de l’UPDF se sont positionnées à proximité des zones contrôlées par la coalition rebelle du M23-AFC, faisant planer des soupçons de collusion tacite. Ce déploiement s’inscrit dans un contexte de militarisation régionale, où frontières et alliances se brouillent dangereusement.

Le rapport mentionne également la présence en Ouganda de plusieurs chefs de guerre congolais sous sanctions internationales, dont Thomas Lubanga Dyilo et Innocent Kaina. Ces anciens miliciens, libérés de prison, opèrent depuis Kampala, où ils recrutent et forment de nouveaux combattants. Ils ont établi, avec l’appui d’Yves Khawa Panga Mandro, ancien chef de guerre, une base logistique à Hoima, dans l’ouest de l’Ouganda, utilisée pour acheminer armes et miliciens vers l’Ituri.

Le 11 mars 2025, Lubanga a même annoncé la création d’un nouveau mouvement rebelle, la CRP , depuis la capitale ougandaise. Bintou Keita, cheffe de la Monusco, a dénoncé cette initiative comme un facteur aggravant de l’instabilité dans la région.

Malgré ces éléments, Kinshasa maintient une coopération militaire avec Kampala dans le cadre de l’opération conjointe Shujaa, officiellement destinée à combattre les ADF. Le 20 juin 2025, cette alliance a été renforcée avec l’extension des opérations à plusieurs territoires de l’Ituri, dont ceux où l’UPDF s’était déployée unilatéralement quelques mois plus tôt.

Derrière cette collaboration, plusieurs analystes pointent une logique d’influence géostratégique et de prédation économique. L’Ouganda serait intéressé par le contrôle indirect des ressources naturelles congolaises, notamment l’or, dont une grande partie transite illégalement par son territoire. En 2023, l’Ouganda a exporté pour 2,7 milliards de dollars d’or, un volume jugé suspect.

Face à cette situation, Kinshasa reste sur la retenue. Si la diplomatie congolaise admet sa « consternation » face au rôle trouble de Kampala, aucune rupture n’a été actée. « On ne peut pas mener deux guerres à la fois« , indiquent des hauts responsables congolais, ajoutant que le dialogue reste, pour l’instant, privilégié.

Mais cette stratégie d’équilibre pourrait s’avérer coûteuse. Car, au-delà des discours, le rapport de l’ONU met en lumière une réalité préoccupante : l’Ouganda, en entretenant des liens discrets avec les réseaux rebelles, contribue à alimenter un conflit qui dévaste l’Est du Congo. À l’heure où la Communauté internationale scrute l’implication du Rwanda, le rôle de Kampala mérite une attention accrue.

Patrick Ilunga & Blessed Kuzola

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