Ministre sortant du Tourisme, Franck Mwe Di Malila Apenela fait de la réflexion critique, l’arme de la liberté politique. Pour lui, la société doit à tout moment s’examiner et faire le chemin de la synthèse face à la facilité qu’offre les positions extrémistes .C’est d’ailleurs son choix depuis quelques années de travailler pour l’émergence d’un centre en RDC. Tâche herculéenne tant cela demande un dépassement que les politiques ne veulent pas franchir. Fort de cette conviction qu’il est de son devoir de participer à la construction d’une pensée pragmatique loin des fatras idéologiques et loin du fanatisme « ambiant », il a accepté de répondre à quelques questions de Geopolis Hebdo pour se situer dans le jeu et clarifier l’enjeu du moment.

Monsieur Malila, vous êtes un acteur de l’histoire politique récente de la RDC. Quelle lecture faites-vous de cette séquence post-électorale ?

Le premier constat est la régression constante du taux de participation, ce qui soulève une interrogation sur la légitimité des élus et l’intérêt des électeurs pour les élections.
Le second est la contestation systématique des résultats des scrutins. Après trois cycles électoraux de 15 ans, il est temps de faire le bilan et en tirer les conséquences. En l’occurrence, adopter un mode électif qui soit en adéquation avec les réalités de notre pays, et qui tienne compte du coût, du niveau d’éducation, de l’immensité du territoire et de notre culture. La démocratie représentative, plus proche de nos traditions, est l’alternative viable pour mettre un terme à des cycles électoraux contestés et contestables. Un scrutin indirect par un collège composé de grands électeurs, tel qu’aux USA, en Allemagne, en Italie, aurait l’avantage en termes d’économie, de coût des élections et leur incidence sur les reports, la régularité des échéances électorales et l’achèvement de l’ensemble du cycle électoral. Pour rappel, depuis l’avènement de la IIIème République, la RDC n’a jamais eu d’élections municipales, locales. La réforme de la CENI, notamment sa dépolitisation, est un impératif, ainsi que mettre à la disposition de l’ONIP les ressources pour la constitution d’un fichier d’état civil fiable, qui sera le socle pérenne du fichier électoral. Ce sont des préalables à la crédibilité de futures élections, pour ne pas devoir, de manière récurrente, constituer un fichier électoral avant chaque élection.
A défaut d’apporter des corrections, évolutions à notre système démocratique, notre Nation continuera d’assister à des contextes politiques inédits, tels que des cohabitations transfigurées en coalitions hétérogènes, en difficulté d’appliquer un programme de gouvernement cohérent pour améliorer le sort de nos compatriotes et la prospérité de la RDC.
Sans remise en question de notre système démocratique dans son ensemble, toutes les élections à venir se solderont par des frustrations pour notre Nation.
Favorisons l’émergence d’une démocratie à la mesure de la RDC et non une démocrature.

Vous êtes connu comme un homme du Centre et pourtant cette posture a disparu dans l’espace politique, pourquoi ?

A l’approche des élections de 2016 et leur report récurrent, le débat politique s’est restreint à l’interprétation de la Constitution.
Le contexte de l’époque étant propice, l’environnement politique s’est radicalisé, le populisme de part et d’autre a eu l’ascendant dans l’opinion.
Aujourd’hui, l’opinion vit l’expérience du populisme au sein des institutions et les limites de son action.
Ma conviction est que la même opinion sera attentive au réalisme et au pragmatisme des propositions et des solutions modérée du Centre.

Aujourd’hui la vision du monde est au multilatéralisme, au point que certaines nations africaines sont embarrassées du choix à mener entre les anciennes puissances et les forces émergentes. Comment pensez-vous que l’Afrique devrait négocier ce virage stratégique ?

Il ne s’agit pas d’être embarrassé, mais plutôt d’avoir à l’esprit que le multilatéralisme est une vision éthérée d’un monde à l’issue de la guerre 40-45.
Au 21ème siècle, le monde, l’Afrique et notre pays la RDC particulièrement, doit faire face à des défis majeurs:

  • Le développement;
  • L’explosion démographique;
  • L’ancrage des systèmes démocratiques;
  • La numérisation;
  • La préservation de l’environnement.

Pour obtenir des résultats probants à la résolution de ces défis, la RDC doit prioriser les actions à mener pour relever ces défis, selon une approche rationnelle et réaliste; recouvrer l’influence au sein des pôles régionaux dans lesquels la RDC est forte naturellement. Il n’y a pas une Afrique mais des Afriques, chacun ayant des valeurs, des coutumes et des objectifs distincts.
Opter pour le choix de nos partenaires stratégiques non sur base idéologique ou d’intérêts partisans, mais plutôt par rapport aux solutions adaptées qu’ils peuvent apporter à notre collaboration/partenariat. La RDC devrait être prudente lorsqu’elle établit ses partenariats stratégiques avec les pays émergents dont la fragilité de certains a pu être constatée.

Quelle lecture faites-vous de la question de la gestion des ressources naturelles au regard de l’enjeu mondial et de la position de la RDC ?

Y a-t-il une véritable gestion en l’absence de législation appropriée, d’application de celle-ci, d’outils de gestion? Nous devrions mettre en place des audits, des instruments de traçabilité, de gestion des stocks, d’instruments financiers, cela nous permettrait d’obtenir des statistiques et planifier une exploitation rationnelle des ressources naturelles.
Nous devrions ainsi dans ce domaine nous engager résolument dans la bonne gouvernance. Sans la mise en place de ces préalables, la RDC n’aura qu’une emprise relative sur les enjeux mondiaux de l’exploitation des ressources naturelles. Notre pays demeurera un simple comptoir!
L’enjeu primordial c’est d’abord d’exploiter ces ressources pour que notre Nation puisse en retirer les meilleurs bénéfices.
Juguler l’exploitation illégale des mines à l’Est de notre Pays, source d’insécurité permanente, dont nos compatriotes sont les premières victimes. La paix dans notre pays est tributaire d’une exploitation rationnelle et juste de nos ressources naturelles.

Pourquoi avez-vous gardé le silence depuis plusieurs mois?

On peut se départir d’un droit, mais pas d’un devoir de réserve.

Propos recueillis par Robert Tanzey

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