Annoncé comme plus sécurisé et moins cher, le nouveau passeport biométrique congolais cache des coûts annexes qui font grincer des dents. À cela s’ajoute une pénurie de livrets, bloquant des centaines de milliers de demandes.

La réforme se voulait  rassurante. Depuis le 5 juin, le Gouvernement de la République démocratique du Congo a lancé un nouveau passeport biométrique censé répondre aux standards internationaux de sécurité, notamment ceux de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI).

Annoncé à 75 dollars, il devait incarner une volonté de modernisation administrative. Mais très vite, la promesse a laissé place à une réalité bien plus complexe.

Un tarif officiel, mais une facture bien plus salée

Sur le papier, le prix du passeport semble raisonnable. Selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères du 27 mai, le nouveau passeport coûte 75 USD, payables en espèces dans les banques partenaires ou en ligne via le site officiel. Mais cette somme ne tient pas compte des documents désormais exigés pour y accéder.

Avant même de déposer une demande, les citoyens doivent réunir plusieurs pièces, chacune payante :

* Certificat de nationalité : 60 USD

* Attestation tenant lieu de certificat de nationalité : 60 USD

* Acte de naissance (via jugement supplétif) : entre 180 et 200 USD

* Passeport : 75 USD

Addition faite, le montant total peut s’élever jusqu’à 450 dollars. Une somme inaccessible pour la majorité des Congolais, dans un contexte socio-économique tendu. Pourtant, aucune communication officielle n’a été faite sur ces frais annexes.

Une crise logistique qui aggrave la situation

À cette polémique sur les coûts s’ajoute une crise d’approvisionnement. Depuis mars, plus aucun passeport n’est imprimé. En cause : une rupture de stock des carnets vierges, fournis par une société belge, à laquelle le gouvernement congolais serait toujours redevable.

Un agent affecté à l’impression des passeports, qui a requis l’anonymat, confirme : « Nous sommes en rupture de stock. Les impressions sont suspendues. Le Gouvernement congolais doit encore régler une dette envers l’entreprise belge qui fournit les carnets de passeports. Malheureusement, à ce jour, aucun paiement n’a été effectué. »

Conséquence : plus de 100 000 dossiers déjà validés restent bloqués dans les salles d’impression.

Et ce n’est pas tout. En amont, près de 200 000 demandes seraient également gelées à l’Agence nationale de renseignement (ANR), en attente de traitement.

 Une paralysie administrative qui dure depuis plus de trois mois.

Dans les couloirs du ministère, l’impatience grandit.

« C’est depuis mars que j’ai lancé ma demande de renouvellement. Les portes restent fermées, et personne ne donne de réponses », témoigne Fatou Zawadi, rencontrée sur place.

Jean, père de famille, partage le même désarroi :

« J’avais prévu de partir en congé avec mes enfants. Tout est tombé à l’eau. Nous avons tout perdu, même les billets. »

Le ministère tente de rassurer… sans convaincre

Face à la grogne, le ministère des Affaires étrangères a publié un communiqué. Il y promet que « toutes les demandes déjà enregistrées seront traitées avec diligence » et que « personne ne sera laissé pour compte ». Une déclaration qui peine à rassurer, faute de calendrier ou de solution concrète.

La ministre Thérèse Kayikwamba Wagner rappelle que le nouveau passeport est doté de dispositifs de sécurité avancés, et qu’il vise à lutter contre la fraude documentaire. Un argument louable, mais qui ne répond pas aux préoccupations immédiates des usagers.

Une réforme nécessaire, mais mal préparée

Sur le fond, la volonté de moderniser les documents officiels ne fait pas débat. Mais sur la forme, la réforme du passeport peine à convaincre. Coût réel dissimulé, rupture de stock, flou administratif : autant d’éléments qui nourrissent le scepticisme et renforcent le sentiment d’abandon chez les citoyens.

Pour l’heure, aucune date n’a été annoncée pour la reprise des impressions. Et si rien ne change rapidement, la méfiance risque de s’installer durablement, mettant à mal la crédibilité d’une réforme censée incarner la transparence et la modernité.

Enock Isey

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *