Les prix de certains produits de première nécessité pourraient bientôt être revus à la baisse en République Démocratique du Congo (RDC).
Les opérateurs économiques ne sont pas opposés aux mesures annoncées récemment par le vice-Premier ministre et ministre de l’Economie nationale notamment, d’alléger la fiscalité sur les importations de neuf (9) produits dont la viande, la volaille, le poisson, le poisson salé, le lait en poudre, le riz, le maïs, l’huile végétale et le sucre. Ils l’ont dit lundi 19 août au professeur Daniel Mukoko Samba dans son cabinet.
Si les gros importateurs des produits de première nécessité ont promis de soutenir le Gouvernement Suminwa dans cette démarche, du côté des producteurs locaux des biens dont la RDC a largement un avantage comparatif, toutes les filières comprises concernées, on dénonce les manœuvres gouvernementales tendant à crucifier l’industrie locale naissante.
Même son de cloche sur l’avenue Lokele, à Kinshasa-Gombe, où se trouve le siège social de Toile d’Araignée, une organisation citoyenne créée il y a une dizaine d’années et regroupant les journalistes économiques, financiers et chroniqueurs des ressources naturelles.
» Nous voulons bien sûr réduire le coût de la vie pour les Congolais. Mais la manière d’y parvenir est d’investir dans une industrie locale florissante », a déclaré, ce samedi 31 août 2024, le Coordonnateur de » Toile d’Araignée ». A Jérôme Sekana Pene-Papa d’enfoncer le clou : » En permettant les importations illégales, nous mettons le pays à la merci de produits de qualité inférieure.
A long terme, nous serons otages des étrangers. Le projet de loi (sur la suppression des taxes à l’importation des produits de première nécessité) réduira également les investissements locaux et l’emploi ».
De l’avis de ce baobab de la presse économique, » des centaines de milliers d’emplois sont donc menacés face au projet de suppression des taxes sur des produits de première nécessité ».
Interrogés récemment par les journalistes d’investigation de Toile d’Araignée, des producteurs d’huile de palme en RDC expriment leurs vives préoccupations face à la récente proposition du Gouvernement congolais visant à supprimer les taxes sur les produits de première nécessité.
Bien que cette initiative vise à accroître le pouvoir d’achat des ménages
congolais, elle pourrait, selon eux, entraîner des conséquences graves et imprévues pour le tissu économique congolais avec comme corollaire un impact dévastateur sur l’emploi et la production locale. Et pourtant, l’industrie agroalimentaire en RDC est un pilier essentiel de l’économie nationale, représentant environ 20 % du PIB.
Avec une production annuelle de millions de tonnes de produits tels que le mais, le manioc, le riz, l’huile de palme, le sucre, la viande, et le poisson, ce secteur est crucial pour la sécurité alimentaire et le développement économique et social de notre pays.
De plus, I’industrie agroalimentaire emploie directement plus de 1,5 million de travailleurs à travers le pays et soutient indirectement de nombreuses familles et petits exploitants agricoles.
A en croire ce sémillant orateur, » la suppression des taxes sur les produits de première nécessité importés pourrait entraîner une concurrence accrue de produits étrangers à bas prix, menaçant la viabilité économnique des producteurs locaux.
Cette situation, a-t-il renchéri, pourrait forcer de nombreux acteurs de l’industrie à réduire leur production, entraînant des suppressions massives d’emplois et une
instabilité économique accrue pour les familles et les communautés dépendantes de ce secteur.
Une contraction de l’industrie agroalimentaire aurait également, selon Jérôme Sekana, un effet domino sur d’autres secteurs tels que le transport, la distribution, la logistique et les services, qui emploient collectivement des centaines de milliers de personnes supplémentaires.
Une telle crise pourrait menacer la sécurité alimentaire, le bien-être de millions de citoyens et la stabilité économique du pays tout entier.
Un impact dévastateur sur l’emploi et la production locale
Chiffres à l’appui et s’appuyant sur des données récentes de la filière palmiste, huiles de palme et raffinées comprises, Jérôme Sekana a révélé que : » A lui seul, le secteur de l’huile de palme en RDC représente environ 40 % de la production agro-industrielle du pays, avec une production annuelle estimée à plus de 450 000 tonnes. Ce secteur emploie directement plus de 50 000 travailleurs et soutient indirectement environ 500 000 personnes, y compris les familles des travailleurs et les petits exploitants agricoles. »
A titre illustratif, notre source a cité la société Plantations et Huileries du Congo (PHC), en tant que leader de l’industrie, emploie à elle seule plus de 10 000 personnes sous contrats directs dans les provinces de l’Équateur, de la Mongala, et de la Tshopo, et contribue de manière significative à l’économie locale à travers la création d’emplois, le développement d’infrastructures, et le soutien communautaire.
» Cette concurrence accrue, due à des importations moins chères, pourrait
forcer les producteurs locaux, comme PHC, à réduire leurs volumes de production pour faire face à la baisse de la demande. Une telle baisse de production pourrait entraîner la suppression de milliers d’emplois dans le secteur de l’huile de palme en RDC et rendrait vulnérables les milliers de ménages qui dépendent de cette filière », a martelé le CN de Toile d’Araignée.
Risque pour l’autosuffisance alimentaire
La suppression des taxes sur l’importation des produits de première nécessité
compromet l’objectif d’autosuffisance alimentaire promu par le Chef de
I’État, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, à travers son Programme de Développement Local des 145 Territoires, notamment dans son volet » Transformation Agricole ».
Force est de constater qu’avant cette batterie des mesures d’allégement fiscaux massifs et nocifs, le Gouvernement de la République avait déjà mis en place un programme ambitieux qui vise à inverser la tendance en favorisant » la revanche du sol sur le sous-sol « .
Ce dernier a déjà montré des résultats prometteurs. Pour preuve, des tonnes de semences ont été distribuées aux producteurs agricoles à travers tout le pays, offrant à ces derniers les moyens de cultiver leurs propres produits, de renforcer leur résilience économique et de sortir de la pauvreté.
Cependant, comment peut-on parler de » revanche du sol sur le sous-sol » si,
en même temps, le marché Congolais est inondé de produits importés ? S’est interrogé Jérôme Sekana Pene-Papa.
» En continuant à se reposer sur les importations de produits de première
nécessité, tels que l’huile de palme, le sucre, le blé, le maïs, le poisson et la viande, le pays ne pourra jamais augmenter son Produit intérieur brut (PIB) de manière significative ni atteindre l’autosuffisance alimentaire tant convoitée », a alerté le numéro du Réseau Toile d’Araignée qui pense qu’en favorisant les importations, le Gouvernement central privilégie les producteurs étrangers, notamment de Malaisie, Indonésie, Thailande, et Inde, au détriment des producteurs locaux.
Cette politique pourrait, selon lui, appauvrir davantage le pays en freinant l’émergence économique et en intensifiant la pauvreté dans les régions rurales.
Alors que faut-il faire pour éviter cela ? A cette question qui taraude les esprits, le CN de Toile d’araignée, M. Jérôme Sekana, a indiqué que l’autosuffisance alimentaire doit rester une priorité nationale, soutenue par des politiques cohérentes et orientées vers la production locale : » L’autosuffisance alimentaire doit rester une priorité nationale, et les politiques doivent être cohérentes avec cet objectif pour assurer un développement économique durable pour tous les Congolais ».
Les acteurs du secteur de l’huile de palme exhortent le Gouvernement Suminwa et
les décideurs à reconsidérer cette approche afin de garantir un avenir plus prospère et autosuffisant pour la RDC.
D’après le Conseil Consultatif Présidentiel du Pacte National pour l’Agriculture et l’Alimentation (CCP-PNAA) de la RDC, citant les chiffres du Fonds des Nations-Unies pour l’agriculture (FAO), la facture des importations qui représentait 125,4 millions d’USD en 1961 a atteint en 2019 plus de 2,5 milliards d’USD, soit une augmentation de près de 2 000 pourcents.
A ce jour, la RDC dépense une bagatelle de
3 milliards de dollars américains pour importer la nourriture qu’elle peut
produire 100 fois plus sur son sol. Quel gâchis ! Il n’est pas recommandable de continuer à prioriser les importations
alimentaires.
» Notre pays doit-il continuer à utiliser plus de 15% de son budget à financer les producteurs agricoles des autres pays alors que 75% de notre population active, représentant plus de 16 millions de ménages, sont impliqués dans l’agriculture, et que nous avons des terres abondantes, un climat favorable et des rivières partout pouvant irriguer nos champs ?
La revanche du sol sur le sous-sol prôné par le chef de l’État est-elle étouffée dans l’œuf ? A-t-on sacrifié l’industrie locale sur l’autel du dumping ?
Aux ministres sectoriels de l’Économie, des Finances, de l’Agriculture, du Commerce, Industrie et PME, pour ne citer que ceux-ci, de répondre à ces interrogations de Toile d’Araignée.
En attendant leurs réponses, l’avenir économique de la RDC et son émergence à l’horizon 2030 restent hypothétiques.
Journaliste économique et chroniqueur des ressources naturelles.