Votre Excellence, 

Il n’est jamais aisé de s’adresser publiquement à une personnalité de votre envergure, ancien président de la République d’Afrique du Sud, architecte du NEPAD, et héritier moral de la lutte panafricaine de Nelson Mandela. Votre parcours incarne l’engagement historique pour la dignité des peuples africains, la souveraineté des États et une paix fondée sur la justice. 

C’est précisément en raison de cet héritage exceptionnel et de l’autorité morale que vous incarnez que vos récentes déclarations en Tanzanie, perçues comme un appui implicite à la lecture de Joseph Kabila sur la crise en République démocratique du Congo, ont suscité une vive inquiétude. 

Ces propos appellent une clarification urgente historique, politique et morale compte tenu des responsabilités qui incombent à quiconque œuvre à la stabilité régionale. À l’heure où certains instrumentalisent les idéaux panafricains pour légitimer des agendas subversifs, il est essentiel que les voix respectées du continent fassent preuve de discernement stratégique et de cohérence éthique. 

Une rhétorique qui prépare le conflit plus qu’elle ne le désamorce 

Dans un pays en guerre, les mots pèsent. Ils ne sont jamais neutres. Émanant d’une figure d’autorité continentale, chaque mot devient une arme sur le champ de bataille informationnel. La parole précède souvent l’action. Elle oriente, légitime, parfois déclenche le conflit. 

Ce que vous avez récemment exprimé dépasse le cadre d’une simple analyse politique. Votre discours porte les traits d’une rhétorique pré-hostile : langage accusatoire, insinuations ethniques, et justification indirecte de la violence. 

Ce n’était pas une analyse neutre. Elle posait les bases d’un casus belli latent, en activant les leviers bien connus de la guerre cognitive : mobilisation émotionnelle à travers des références à l’exclusion ethnique ; identification implicite d’un acteur politique congolais comme obstacle à la paix ; suggestion que la violence peut être légitime lorsqu’elle vient d’un peuple « frustré » ou « ignoré ». 

En tant qu’expert des dynamiques régionales, vous savez que de tels propos, dans un contexte aussi inflammable, fonctionnent comme un prélude discursif à l’escalade violente. Vos mots résonnent ici comme une prédiction voilée de conflit. 

Des échos dangereux du passé 

Vos propos ravivent des plaies non cicatrisées. Les références explicites ou non aux populations Luba du Kasaï et aux communautés katangaises évoquent de douloureux souvenirs : ceux des violences ethniques de 1992–1994 au Katanga, que nombre d’historiens qualifient de tentative d’épuration ethnique ayant entraîné le déplacement de plus de 800 000 Kasaïens. Cette tragédie fut en partie orchestrée par des individus aujourd’hui proches de Joseph Kabila, dont le général John Numbi, aujourd’hui fugitif. 

Votre discours risque de légitimer une nouvelle spirale de violences tribales dans une région déjà sous tension. Ce n’est pas seulement une erreur de lecture historique. C’est une faute politique grave, qui donne un souffle stratégique à des agendas armés de déstabilisation. 

Une dissonance préoccupante 

Ce qui frappe le plus, Votre Excellence, c’est la dissonance entre le ton apaisant de votre discours et son soubassement martial. En surface, vous plaidez pour la paix, le dialogue et la protection de certaines communautés. Mais en profondeur, vous relayez indirectement les justifications souvent invoquées par le groupe rebelle M23 et le régime Rwandais . 

Cette double posture; paix en façade, la préparation mentale à la guerre en sous-texte est une technique bien connue des stratèges de l’influence. Elle repose sur un principe simple : ceux qui dénoncent le plus bruyamment la guerre avant qu’elle n’éclate en deviennent souvent les architectes les plus actifs. 

Ce n’est pas l’héritage de Mandela. C’est plutôt celui de la manipulation de régime Rwandais de Paul Kagame, où les revendications des communautés tutsies congolaises sont instrumentalisées à des fins stratégiques. Si les préoccupations de ces communautés méritent écoute et justice, elles ne peuvent en aucun cas justifier une agression militaire contre un État souverain. 

Une anomalie africaine, et non une vision panafricaine 

Excellence, en parlant comme vous l’avez fait, vous ne vous êtes pas exprimé en homme d’État œuvrant pour la paix continentale. Vous vous êtes exprimé en vecteur discursif d’un projet de guerre. Là où nous espérions entendre la voix d’un héritier de Mandela, nous avons entendu celle d’un tribun de faction, justifiant tacitement le renversement, voire l’élimination d’un président en exercice démocratiquement élu. 

À ce stade de votre parcours, votre responsabilité morale et politique exige que chaque mot soit pesé avec la précision d’un médiateur continental. Car aujourd’hui, les mots peuvent littéralement tuer. Il faut le rappeler : un mot prononcé à Dar es Salaam ou Johannesburg peut avoir des conséquences concrètes à Goma ou à Kinshasa. 

Le panafricanisme n’est pas une solidarité symbolique ni une mémoire partagée de la colonisation. Il repose sur la coopération entre États souverains, l’égalité entre les peuples, la justice, la paix et le respect mutuel. Le rôle d’un ancien chef d’État panafricaniste n’est pas de choisir un camp dans un conflit armé, mais de servir de boussole morale et diplomatique. 

Or, ce que nous avons entendu en Tanzanie n’était pas une voix de paix. C’était un narratif de faction, un soutien codé à une entreprise de déstabilisation visant potentiellement un chef d’État en exercice. 

Une guerre des récits 

Soyons clairs : la crise actuelle dans l’est de la RDC n’est ni un simple échec de gouvernance, ni une affaire de marginalisation ethnique. C’est une guerre hybride transnationale, déguisée en rébellion, dans laquelle le M23 joue à la fois le rôle de proxy armé et de façade politique pour les ambitions de Kigali. 

En validant publiquement les inquiétudes de Joseph Kabila, sans condamner dans le même souffle les atrocités du M23, vous renforcez cette stratégie hybride. Vous offrez une légitimité politique à un mouvement responsable de milliers de morts et de plus de sept millions de déplacés. 

Pire encore, vos propos contribuent à renverser le récit : toute critique de la rébellion est désormais présentée comme un discours de haine ethnique, tandis que la rébellion elle-même est qualifiée d’« aspiration populaire légitime ». Cette manipulation érosionne la souveraineté congolaise et compromet sérieusement les perspectives de paix durable. 

Un appel à la retenue et à la responsabilité 

Excellence, l’Afrique entre dans une nouvelle ère de conflits hybrides, alimentés par des frustrations identitaires, des guerres économiques et des récits manipulés. Dans ce contexte, nos dirigeants doivent faire preuve d’une vigilance extrême. 

La région des Grands Lacs n’a pas besoin de rhéteurs du conflit déguisés en diplomates. Elle n’a pas besoin de parrains moraux de la violence. Elle a besoin de paix, de vérité, de justice et de réconciliation. Elle a besoin de bâtisseurs de ponts, non de fossoyeurs. 

Nous vous appelons solennellement à clarifier vos propos, à condamner toute rhétorique de guerre, et à réaffirmer votre place parmi les artisans de paix du continent. 

Le monde vous observe. L’Histoire aussi. Respectueusement, 

Roger B. Bope
Analyste en sécurité & Stratégie Toronto, Canada 

📞 +1 647-206-4423
✉  roger2014@myyahoo.com 

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