Interview exclusive I Franck Mwe di Malila : « le dialogue inclusif de tous les congolais s’impose … Il faut exclure l’exclusion » 

Construire des ponts là où il y a des fissures et des cassures, c’est une tâche difficile dans un pays où les leaders se sont opposés de manière si radicale au point que des ruptures idéologiques ont provoqué des contradictions qui remettent en question le fondement républicain de la Nation. C’est dans cette perspective que les propos de l’ancien ministre Franck Mwe di Malila sonnent comme un appel à l’unité de la pensée politique par le triomphe du dialogue des républicains. Comment dans cette phase complexe où les oppositions et les trahisons se confondent, comment faire la différence entre les patriotes même pas d’accord avec le pouvoir mais engagés dans le combat pour La Défense de la Patrie ? Où situer la différence entre l’offre politique et la collusion avec des forces étrangères, ennemis du peuple. Franck Mwe di Malila revendique le droit à la pensée critique et à l’offre sincère envers son pays, car rien ne peut arrêter le développement d’un pays même la conscience d’avoir bien fait. Dans l’ordre d’un retour à la cohérence nationale et à l’unité d’action face au danger sur la survie de l’État congolais, c’est un acte qui ouvre le débat national seul capable de générer la paix véritable entre compatriotes.

G.H : Pourquoi faut-il un dialogue inclusif alors qu’il y a déjà un accord de paix entre le Rwanda et la RD Congo ainsi que la signature de la déclaration des principes de Doha ?

Franck Mwe di Malila : J’ai toujours été pour le dialogue comme modalité de règlement des conflits et considère qu’un gouvernement responsable doit être capable de dialoguer, quels que soient les problèmes auxquels le pays est confronté. Et par conséquent, je suis satisfait que cette perspective s’ouvre.

Cependant, l’accord de paix entre le Rwanda et la République Démocratique du Congo ne résorbe pas les problèmes profonds de la RDC. D’où la nécessité du processus de Doha.

La résolution des problèmes de la RDC relève de la responsabilité des congolais.

Il s’agit de reprendre notre destin en mains. Le dialogue inclusif de tous les congolais s’impose aujourd’hui. Il faut exclure l’exclusion.

G.H: ⁠On a l’impression que la classe politique congolaise voit tout en noir quand elle n’est pas au pouvoir, y a-t-il encore de la dimension républicaine dans les revendications de l’opposition ?

FMM : Je vous invite à vous mettre à la fenêtre et à observer l’état des routes, l’insalubrité, le sort des fonctionnaires, des policiers, des soldats, du corps médical, de la jeunesse ou des enseignants…

Pensez-vous que les revendications de l’opposition politique ne sont pas légitimes ?

Comment pouvons-nous réaliser la cohésion nationale, la justice sociale ou le progrès du pays si les hommes politiques n’abordent pas les vrais problèmes ?

Il nous faut apprendre à soutenir les orientations politiques et à s’opposer aux décisions qui ruinent l’Etat.

Aussi douloureuses soient-elles, nous devons avoir le courage d’appliquer les décisions que nous adoptons.

Les considérations personnelles devraient céder la première place à l’intérêt général. C’est aussi cela la démocratie.

G.H : revenons au dialogue attendu, quels devront en être les termes de référence ? Sommes-nous toujours dans la philosophie du partage équitable et équilibré du pouvoir ? Malgré quatre cycles électoraux ?

FMM : Le principe de sincérité dans le dialogue commande que les aspirations des uns et des autres soient prises en compte, taire nos intérêts particuliers au profit de l’intérêt du Congo et des congolais. C’est de cette manière que les termes de référence seront aisés à définir.

Il va falloir aborder les problèmes cruciaux tels que la discrimination, la mégestion, le non-respect des textes, l’exclusion des communautés nationales. Remettre l’Etat au service de la population.

En clair, il nous faut refonder l’Etat qui est, à ce jour, évanescent.

Pour une certaine classe politique qui demeure dans un état d’esprit qui consacre les intérêts personnels et ceux de la tribu, depuis la conférence nationale, elle considère le partage équitable et équilibré comme un moyen d’accession au pouvoir pour leur propre profit au détriment des congolais. Alors que ce principe vise l’harmonie nationale dans les fonctions de l’Etat pour garantir l’intérêt général. Ce principe devrait être consacré dans les textes.

Les cycles électoraux n’ont pas toujours respecté les normes de transparence, de régularité et de liberté. Il y a eu répétitivement des contestations voire des violences post-électorales à divers degrés.

A l’évidence seules les élections ne reflètent pas la bonne santé démocratique d’un pays.

S’affranchir de l’Etat rhizome qui consacre la politique du vendre et muer vers l’Etat-nation consolide l’unité nationale et la cohésion nation.

G.H : Quels sont selon vous les indicateurs majeurs qui pourront servir pour indiquer que la crise congolaise est réellement finie ?

FMM : La gestion de crises est la raison d’être de tout gouvernement, les crises sont multiformes et évolutives : la confiscation des libertés, la famine, les maladies, l’instruction, la gouvernance, le choix libre en toute conscience des dirigeants …

G.H : Depuis trente ans toutes les rebellions commencent à partir de Goma, comment expliquez-vous cela ?

FMM : Remontons à la conférence nationale lorsque les extrémistes immatures sont montés au créneau pour garder ou accéder au pouvoir en procédant par la discrimination.

Souvenons-nous que la RDC a connu plusieurs rébellions depuis son accession à l’indépendance à l’est comme à l’ouest. Les causes sont toujours identiques c’est-à-dire les modalités d’accès aux fonctions d’Etat. Certains leaders créent une rébellion dans sa base tribale, ensuite il y a des négociations, puis celles-ci leur permettent d’occuper des fonctions d’Etat.

Ce qui se passe à l’Est depuis trois décennies traduit la mauvaise gestion du territoire, de politique sécuritaire et de diplomatie. Sans oublier l’intolérance et le non-savoir vivre ensemble.

G.H : ⁠Maintenant que l’on parle d’accord de paix, une inquiétude est celle du sort des victimes, la politique servirait elle toujours à couvrir les crimes contre l’humanité et les massacres des populations ?

FMM : C’est un état de fait, les victimes sont là. Il faut prendre des mesures de réparation et éviter les détournements des ressources destinées au dédommagement des victimes.

De manière impartiale, la justice doit jouer pleinement son rôle pour condamner les auteurs de crimes.

G.H : ⁠La question de l’accès aux ressources du pays peut telle être réglée ? Si oui de quelle manière ?

FMM : La RDC a l’accès à toutes ses ressources, pas uniquement les minerais. Que faisons-nous du produit de ces ressources ?

Nous devons diversifier l’exploitation de nos ressources, notamment, dans le secteur énergétique en exploitant notre bassin hydrique pour rehausser le taux d’électrification, relancer le projet grand Inga pour répondre à la demande de l’industrie.

Nous devrions lancer un plan de développement agricole en commençant par cadastrer nos terres cultivables.

Le pays doit se doter d’une politique industrielle ambitieuse ayant pour objectif l’exploitation de nos ressources sous l’angle de la rentabilité interne c’est-à-dire au bénéfice des congolais en créant de la valeur ajoutée via la transformation par nos industries. Il faut donc, une politique fiscale adaptée, un système bancaire d’investissement, une ingénierie financière pour les fonds d’investissement et une intelligence économique, la digitalisation des finances publiques en mettant à contribution les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle.

Par exemple, lorsque j’avais la charge du Ministère du tourisme, nous avons formalisé la collecte des recettes du fonds de promotion du tourisme. Cela a permis de multiplier les recettes par 20, c’est-à-dire plus d’un million de dollars par mois.

Quitter le statut de l’Etat comptoir pour passer à l’Etat moderne. Rationaliser la gestion des ressources naturelles en les certifiant.

Cela étant, la condition première est de disposer des ressources humaines efficientes.

G.H : ⁠Face aux enjeux internationaux et au changement qui s’opère sur la scène internationale avec un retour fort du multilatéralisme, que conseillez-vous à la RD Congo dans le cadre de son positionnement diplomatique ?

FMM : Le multilatéralisme vit une crise profonde, il suffit d’observer la position des Etats-Unis qui se retirent au fur et à mesure de toutes les organisations des Nations Unies.

L’ONU n’est plus l’épicentre de la résolution des problèmes et des crises dans le monde. Les relations internationales étant désormais régies par les rapports de force, il est inquiétant de constater qu’actuellement les questions sécuritaires et la puissance militaire sont devenues prépondérantes.

Pour la RDC, le multilatéralisme ne devrait pas être une politique en soi, mais un instrument de pacification pour sécuriser le territoire et pour créer la richesse en tenant compte de nos réalités et du contexte mondial.

En l’occurrence, stimuler les échanges économiques transfrontaliers et les relations de bon voisinage. Privilégier certaines organisations sous-régionales et aller vers la construction de grands ensembles économiques. Rétablir la confiance dans nos relations bilatérales avec nos partenaires.

Il devient urgent de faire un état de lieu de notre diplomatie et se doter d’une politique extérieure, axée sur notre économie.

G.H : Il est difficile de vous situez politiquement au regard du silence que vous avez observé depuis plus de trois ans, pouvez-vous définir votre position ?

FMM : Silence ne signifie pas inaction ! J’ai été et serai toujours de ceux qui défendent les intérêts des congolais, de ceux qui défendent un état responsable et énergique pour la souveraineté de la nation, pour la probité dans l’action publique, pour la protection du patrimoine national, pour la condamnation de toute discrimination.

En clair, pour la dignité de nous Congolais.

Propos recueillis par W_A Kalengayi

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