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C’est l’une des pires guerres qui sévit en République démocratique du Congo. Depuis 30 ans, des groupes armés font la loi dans une partie de l’Est du Congo. À force d’en parler, le sujet devient presque banal aux yeux de certains et les voix de ceux qui dénoncent deviennent quasiment inaudibles. Et pourtant, le drame continue à faire des victimes. Derrière la résilience et le côté festif qui font la réputation des Congolais, une effroyable guerre ne cesse de faire de victimes. Le dernier drame en date est celui qui a emporté des civiles à Goma, dans le camp Mugunga, où des déplacés ont trouvé brutalement la mort lorsqu’un mortier a été tiré sur ces civiles, dont des jeunes enfants. La tragédie Congolaise est une grosse équation dans les Grands Lacs et reste une énigme à bien des égards.

La RDC, pays de 100 millions d’habitants, a perdu déjà près de 10 millions de ses enfants dans les guerres qui se succèdent depuis presque 30 ans, maintenant. Depuis 1994, quasiment à chaque explosion de violence, le chaos implique plusieurs pays. Dans le drame de vendredi à Goma, les États-Unis d’Amérique pointent le Rwanda et son armée. Dans cette partie orientale du pays, qui combat qui sont les combattants ?

*Qui combat qui ?*

Depuis la guerre du Rwanda qui s’était soldée par un effroyable génocide, la tragédie s’est exportée en RDC, s’y est enracinée, profitant du chaos qui a accompagné la fin de règne du maréchal Mobutu Sese Seko. Dans une région de l’Ituri, du Nord et Sud-Kivu, qui fait 7 fois la taille du Rwanda, les désordres multiples ont été un terreau facile pour les groupes armés. Il y en a près de 200 aujourd’hui, selon les chiffres de l’ancien gouverneur du Nord-Kivu Julien Paluku. L’ONU en dénombre plus d’une centaine, certaines plus cruelles que les autres, certaines venues des pays voisins, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. La floraison des groupes armés d’origines diverses a fait naître d’autres groupes d’autodéfense communautaire pour défendre les communautés, souvent victimes des tueurs inconnus, presque mystérieux.

Les leaders de la région disent vouloir la paix, pourtant l’ONU craint que les Grands Lacs retombent à nouveau dans une escalade meurtrière au-delà de la RDC. Il y a 25 ans, entre 1998 et 1999, les armées du Zimbabwe, de la Namibie, de l’Angola étaient impliquées en République démocratique du Congo, appelés à la rescousse des forces armées du Congo, qui tentaient à peine de se reconstituer sur les cendres de l’armée Zaïroise, qui avait presque disparu avec l’éviction de Mobutu, en 1997. Une mission de maintien de la paix, la Monusco, forte de plus de 15 000 soldats avait été déployée, tentant d’imposer sa voix dans un conflit dont la complexité dépasse même certains Congolais.

Face à ces armées, dont celles venues de l’Afrique australe, il y avait deux grandes rébellions aux revendications politiques mêlées à des accents communautaires, qu’appuyaient l’Ouganda et le Rwanda. Depuis ces années-là, la guerre est devenue une routine dans cette région, avec quelques temps de répit ou de semblant de paix. Au début des années entre 2001 et 2003, les négociations ont fait naître un espoir de paix. Les groupes rebelles MLC et le RCD avaient mué leur organisation en partis politiques. Derrière la paix de façade, certains cadres de l’ancien RCD ont repris les armes, créant un autre groupe rebelle, le CNDP. Cette rébellion, héritière du RCD était principalement conduite par les tutsi Congolais qui revendiquaient leur citoyenneté Congolaise et dénonçaient « la discrimination » dont ils étaient victimes, selon eux.

Dans ces entrefaites, l’Ituri et le Nord-Kivu devenaient encore plus le repaire des seigneurs de guerres impitoyables. Certains d’entre eux ont fini par atterrir à la cour pénale internationale. Entre négociation et répression, la formule avait été trouvée. Une négociation menée du temps du président Joseph Kabila avait réussi à intégrer les cadres et combattants du CNDP dans l’armée Congolaise, mais de revendications en revendications, les insatisfaits des accords du CNDP ont créé une dissidence, fondant au passage le mouvement du 23 mars (M23).Ce groupe avait même réussi à s’accaparer de Goma, avant finalement d’y être délogé, grâce à un mélange de négociation, pression internationale, principalement .

En février 2013, onze pays avaient signé « l’Accord-cadre » pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la Région, avec des engagements précis pour la promotion de la paix. Malgré les engagements des uns et des autres, l’insécurité a perduré, d’abord avec les milices locales, mais aussi avec la résurgence du M23. Aujourd’hui, plus que les autres groupes armés, c’est le M23 qui fait figure du groupe le plus redouté. Ce groupe rebelle, soutenu par le Rwanda, selon plusieurs rapports des Nations Unies, selon Kinshasa et plusieurs pays occidentaux dont les États-Unis et la France, entre autres, combat l’armée Congolaise qui elle, est appuyée par des groupes de volontaires (les Wazalendo), composés des civils et d’anciens miliciens. L’armée Congolaise est appuyée par l’armée Burundaise, mais aussi la mission de la SADC, composée des troupes Tanzaniennes et Sud-Africaines. Si l’armée Congolaise et les Wazalendo sont à l’offensive, la mission de la SADC et la Monusco ont pour mission de défendre la ville de Goma et aussi Sake, à moins de 20 kilomètres de Goma. Des combats s’intensifient et les engins des combats dans les airs sont décisifs dans le Nord-Kivu. Le président Félix Tshisekedi qui vient d’entamer son deuxième mandat, doit gérer déjà cette guerre qui menace plus que jamais la ville de Goma, avec ses deux millions d’habitants. La première ville du Nord-Kivu compte plusieurs bombes qui tombent à plusieurs endroits, preuve du rapprochement de la guerre.
Le 3 mai, une dizaine des personnes ont trouvé la mort dans le camp des déplacés à Goma. Le 17 février, l’armée de la République démocratique du Congo a mis en cause des « drones d’attaque de l’armée rwandaise » qui ont largué des bombes à l’aéroport de Goma, « visant les avions militaires de l’armée Congolaise ». Bintou Keita, représentante du secrétaire général de l’ONU en RDC a décrit devant le Conseil de sécurité le 20 février, une situation humanitaire « désastreuse » à Goma, où des sites de déplacés ont été pris pour cible. Plus de 400 000 personnes ont désormais trouvé refuge dans la ville, dont 65 000 au cours des deux dernières semaines, provoquant « une hausse spectaculaire des cas de choléra » en raison du manque d’eau potable, d’hygiène et d’assainissement adéquat, a indiqué Bintou Keita. La cheffe de la mission de maintien de paix Bintou Keita a affirmé ensuite que « le nombre d’atteintes aux droits humains commises par le M23 continue d’augmenter, avec au moins 150 civils tués depuis la reprise des hostilités en novembre 2023, dont 77 en janvier 2024 ».

*Où est-ce que les rebelles se procurent-ils les armes ?*

Au cours du débat au Conseil de sécurité le 20 février dernier, la France a estimé qu’un « seuil a été franchi avec le déploiement et l’utilisation sur le sol congolais de systèmes antiaériens ne correspondant pas aux capacités d’un simple groupe armé ». « Les forces rwandaises doivent se retirer du territoire congolais », ont estimé pour leur part les États-Unis, jugeant paradoxal que le Rwanda, pays contributeur des troupes au maintien de la paix de l’ONU, puisse prendre des mesures contre une mission, la Monusco en l’occurrence. La RDC a plusieurs fois affirmé que c’est le Rwanda qui fournit des armes et même des combattants au M23. « La vérité, c’est que le M23 est aujourd’hui une armée moderne, avec des équipements lourds qui sont plus perfectionnés que les équipements de la Monusco », avait reconnu le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, provoquant la colère des autorités et des populations Congolaises. Guterres avait ajouté que ces armes « viennent de quelque part ». « Ils ne sont pas nés dans la forêt », avait encore commenté Antonio Guterres en septembre 2022.

Pourquoi le dialogue est si difficile dans cette guerre ?

Au début du processus de Nairobi, tous les groupes armés, y compris le M23, avaient été invités à dialoguer avec le gouvernement de Kinshasa. Mais la coïncidence du début des pourparlers à Nairobi, au Kenya, avec la reprise des combats du M23 sur le terrain des opérations au Nord-Kivu, avait conduit les officiels de Kinshasa à exclure le M23 de la table des discussions. Depuis, le président Félix Tshisekedi jure et le dit ouvertement « qu’il ne va jamais dialoguer avec le M23 ». Le président Congolais avait déjà précisé un jour que la RDC ne souhaite pas négocier avec ces rebelles parce qu’en réalité, en cas de dialogue, un autre groupe de dissidents va se soulever pour créer une autre rébellion avec pleines d’autres fallacieuses revendications. Cette semaine encore, la porte-parole du chef de l’État Congolais Tina Salama a déclaré que Félix Tshisekedi veut « dialoguer seulement avec le Rwanda, mais pas à n’importe quel prix ». Le président Congolais a déjà fait savoir que pour la RDC, les pourparlers avec le Rwanda sont possibles « seulement si Kigali retire ses troupes du sol Congolais ».

En réalité, les rebelles veulent à tout prix pousser le gouvernement de Kinshasa à dialoguer et ainsi à satisfaire ses revendications. La lutte pour arriver à Goma participerait de cette stratégie : obliger Kinshasa à dialoguer. Les rebelles ont toujours revendiqué entre autres d’être intégrés dans les services de sécurité et dans l’armée. Pourtant à Kinshasa, l’assemblée nationale a voté une loi rendant illégale l’intégration des rebelles dans l’armée. Pour Kinshasa, la seule issue pour le M23 et d’autres groupes armés est d’accepter la réinsertion sociale dans la vie civile. La cheffe de la Monusco a un jour estimé qu’il est « important de vaincre militairement le M23 ».

En plus, les autorités de la RDC rejettent les allégations qui accusent les Congolais de véhiculer « le discours de la haine » contre les tutsi Congolais. C’est l’une des revendications du M23, souvent évoquée par le Rwanda aussi. Le 20 février encore, cette question de « discours de haine » a été largement évoquée au débat au Conseil de sécurité de l’ONU. « Le Rwanda a peur du génocide. C’est normal. Nous avons aussi peur du génocide. Mais le génocide (de 1994) avait été perpétré au Rwanda, entre les Rwandais. Je vous rappelle qu’au Rwanda, il n’y a que deux tribus, si ce n’est trois. Nous au Congo, nous en avons 450 et nous vivons ensemble. Le Rwanda ne peut pas prétendre venir au Congo et régler des problèmes ethniques qui se posent chez eux au Rwanda. Les tutsi du Congo sont Congolais. Ils ne sont pas Rwandais. Le Rwanda n’a aucun droit de prétendre venir régler les problèmes des tribus au Congo en traversant les frontières. Nous ne le permettrons jamais. Restez chez vous, les problèmes des tutsi Congolais seront réglés au Congo par des Congolais », a déclaré Georges Nzongola, représentant permanent de la RDC à l’ONU, lors du débat au Conseil de sécurité. Le président Tshisekedi a déclaré le 22 février que « tous les tutsi Congolais sont nos compatriotes », avant d’ajouter : « il y a des banyamulenge qui sont mort pour cette république, et sous le drapeau. Donc j’en ai assez de ce discours qui consiste à discriminer ces populations et à donner ainsi l’occasion à des régimes barbares comme celui du Rwanda de nous envahir sous de fallacieux prétextes ».

*Pourquoi les différentes missions n’ont pas encore réussi à vaincre les groupes armés?*

La guerre au Nord-Kivu et en Ituri a plusieurs visages. Parmi la multitude des groupes armés, il y en a qui ne sont pas identifiables par des treillis. Ils s’habillent comme des civiles et se fondent parmi la population civile après des attaques ou des meurtres. C’est ce que les autorités de Kinshasa appellent « la guerre asymétrique ». Il existe également des groupes armés très mobiles, opérant en petits groupes, très difficiles à localiser. Plusieurs groupes s’habillent aussi en divers treillis, semant ainsi la confusion. Dans cette cacophonie générale, difficile pour des missions étrangères d’être efficaces, surtout dans un environnement où les routes ne sont pas forcément en bon état. Il y a donc peu de possibilités à certains endroits de l’Ituri et du Nord-Kivu pour traquer efficacement les groupes armés.

Pour le M23, quasiment tous les groupes étrangers qui sont intervenus en RDC craignent une guerre totale, avec des conséquences sur la vie des civiles, mais surtout par peur de l’embrasement d’une région des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Est passablement déjà fragile. C’est le général Jeff Nyagah, premier commandant de la force régionale d’Afrique de l’est qui le résumait bien: « quelques fois, la guerre ne garantit pas toujours la paix ». Un affrontement généralisé dans le Nord-Kivu peut déstabiliser et toucher le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi. Aujourd’hui encore, ils sont plusieurs ceux qui craignent une déstabilisation de toute la région. « Il est crucial de souligner le risque d’une extension du conflit à l’échelle régionale si les efforts diplomatiques en cours, visant à apaiser les tensions et à trouver des solutions politiques durables au conflit actuel, échouent », a prévenu Bintou Keita.

C’est la raison pour laquelle quasiment toutes les organisations régionales et internationales poussent d’abord les parties prenantes à rechercher des solutions politiques et diplomatiques en lieu et place de la guerre.

Que vaut la RD Congo en terme de richesses naturelles ?

Au-delà de l’idéologie véhiculée par les uns et les autres, la guerre à l’Est de la République démocratique du Congo est aussi économique. Elle a un lien avec l’exploitation illégale des minerais dans le Kivu et en Ituri. Un business s’est développé à la faveur des bruits des armes. Le Rwanda reconnait un pillage systématique des ressources naturelles du Congo. Sauf que Kigali dit être simplement une zone de transit d’une vaste razzia. Dans un Congo où les minerais abondent, il n’est pas rare que des personnalités haut placées, cachées dans des villes, emploient des jeunes pour piller et faire fortune dans ces exploitations illicites. Plusieurs rapports internationaux l’ont déjà dénoncé. Ces rapports ont établi le lien qui existe entre la persistance de la guerre et la floraison des « minerais du sang ». « Il est manifeste que le pillage de la République démocratique du Congo est devenu l’élément moteur du conflit », disait un représentant de la France au Conseil de sécurité. Toutes ces années, les observateurs sont unanimes qu’il existe « un lien étroit entre la poursuite de la guerre et l’exploitation illégale des ressources naturelles congolaises ».La République démocratique du Congo regorge dans son sous-sol de minerais précieux tels que l’or, le cobalt et le coltan. Ces minerais sont particulièrement prisés par les géants mondiaux du business et de la technologie. Selon l’ONU, l’argent, le cuivre, le cobalt, l’or, le coltan et les diamants ne sont que quelques-uns des dizaines de métaux précieux extraits dans le pays, dont les réserves souterraines intactes représentent environ 24 000 milliards de dollars. La RDC est considérée comme le leader mondial de la production et des réserves de minéraux nécessaires à la transition énergétique et qui sont utilisés dans les équipements électroniques et les batteries des véhicules électriques, ainsi que dans la technologie 5G. La RDC regorge à elle seule plus 70 % du coltan mondial et plus de 60 % du cobalt au monde. Selon l’US Geological Survey, le Congo-Kinshasa représente à lui seul 120 000 des 170 000 tonnes de cobalt produites dans le monde en 2021, suivi par la Russie (7 600 tonnes) et l’Australie avec (5 600 tonnes). La RDC doit détrôner le Pérou en tant que deuxième producteur mondial de cuivre d’ici à 2026-2027, se plaçant juste après le Chili, le numéro un mondial (avec une production de 5,36 millions de tonnes en 2022). C’est ce que prévoit le cabinet de conseil Wood Mackenzie dans un rapport consacré au minerai. Le pays regorge également des gisements de lithium, du germanium, de la cassitérite, du tungstène, du zinc, des terres rares… D’où le surnom de « scandale géologique » donné par les belges à la RDC. Un ancien ministre des mines au Congo, Martin Kabwelulu affirmait d’ailleurs que la prospection du sous-sol Congolais n’avait été faite qu’à 20 pourcent seulement, du temps de la colonie belge.

Patrick Ilunga

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