La RDC fait face à une guerre d’agression. Les ennemis du pays se targuent de vouloir renverser l’ordre constitutionnel. Cette menace pèse sur le pays rendant ainsi impossible tout projet de développement. Face à ce péril, des observateurs avisés appellent les Congolais à recourir à deux remparts : l’unité et le patriotisme. L’unité autour du chef de l’Etat, symbole et garant de cohésion nationale. Parmi ces observateurs, Charles Kabuya, avocat et penseur propose à toutes les forces vives de la nation de se rassembler autour du président Tshisekedi. Mais, il se montre tout aussi lucide, car sa proposition, quoique belle et salutaire, ne manque pas de risque. Le risque de mettre sous une même bannière des personnalités aux agendas multiples, contradictoires et divergents, mais aussi le risque de s’ouvrir aux congolais susceptibles d’être de connivence avec l’ennemi. Pour en savoir plus, Géopolis a tendu le micro à cet avocat de renom.
Interview exclusive
Géopolis Hebdo : Quelle formule pourrait convenir le mieux pour mettre tout le monde tour du chef de l’Etat ? Est-ce la formule de la formation d’un gouvernement d’union nationale afin de ratisser large ?
Charles Kabuya : Effectivement j’ai signé une publication sur la situation délicate qui est actuellement en cours dans l’Est du pays. Comme vous savez, il y a eu une offensive dans la ville de Goma menée par l’armée Rwandaise. Il faut le dire, c’est l’armée rwandaise qui est derrière le groupe fantoche du M23. Nous sommes dans une situation de deuil, parce qu’il y a eu beaucoup de victimes. On parle de plus de 2000 morts, parmi lesquels beaucoup des civils. Et beaucoup de nos garçons engagés dans les FARDC pour la défense de la nation. Donc le pays est en deuil, et dans cette situation de deuil, nous devons nous unir, c’est une obligation, nous devons nous recueillir, nous rassembler afin de faire face à l’ennemi. Alors, comment se rassembler, comment se réunir ? Vous m’avez demandé s’il serait judicieux de procéder à la formule d’un gouvernement d’union nationale. De mon point de vue, non. Cette formule, de mon point de vue n’est pas très adaptée aux circonstances actuelles. Il ne s’agit pas d’une crise nationale, mais d’une attaque extérieure par des ennemis identifiés, qui n’ont pas cessé d’attaquer notre pays depuis bientôt trois décennies. Cette a déjà été expérimentée à l’époque du président Kabila, avec ce qu’on avait appelé le 1+4. Aujourd’hui, il n’est pas question de partage des postes. Il est question de revigorer la gouvernance de notre pays, de nous unir. Il y a peut-être lieu de faire quelques réaménagements du gouvernement. Ça, c’est du ressort du président de la république. Mais moi précisément, je pense qu’il serait beaucoup plus indiqué de mettre en place, sur une base très élargie un cadre consultatif de concertation avec à la fois l’opposition politique et toutes les forces vives de la nation. Il faudrait que les congolais de toutes les obédiences politiques, de tous horizons, ceux qui sont dans la diaspora, ceux qui sont en exil, ceux qui ont des revendications diverses, puisent venir dans le cadre de cette plateforme de concertation, qu’il faudra encore définir, pour pouvoir aplanir certaines de nos divergences, nous rassembler et faire des propositions au chef de l’Etat sur la manière de conduire la gouvernance de la nation dans ces circonstances particulières. J’ai quelques idées là-dessus, mais je ne suis ni membre du gouvernement, ni membre d’un cabinet ministériel, je ne suis qu’un citoyen lambda qui avance ses idées. Je compte d’ailleurs les coucher par écrits dans les prochains jours.
GH : Dans le cas d’un rassemblement plus large autour du chef de l’Etat, quel devrait être la feuille de route, est-ce de chercher à vaincre militairement l’ennemi ?
C K : L’option militaire doit nécessairement figurer sur la feuille de route. Elle doit figurer même en priorité, parce que pour qu’un pays se fasse respecter, il doit disposer d’une armée forte et nous avons la capacité d’avoir une armée forte. Nous sommes un grand pays, très peuple, et nous avons déjà accompli beaucoup d’efforts pour remonter le niveau de notre armée qui est bien cotée aujourd’hui en Afrique. Le président de la république a fait beaucoup, beaucoup d’efforts, des efforts entamés avec le président Laurent-Désiré Kabila, qui avait trouvé une armée exsangue, ces efforts ont été poursuivis, et le président de la république aujourd’hui, a fait encore rehausser le niveau de notre armée. Cependant, nous avons en face un ennemi qui est engagé dans des guerres depuis plusieurs années, qui est soutenu à la fois financièrement que sur le plan logistique par des puissances qu’on connait, notamment l’Union Européenne qui lui verse des millions ; il a des accords de coopération avec d’autres nations occidentales. Donc on a un ennemi redoutable. On doit se mettre à niveau pour pouvoir dompter cet ennemi. Nous en sommes capables. Je pense qu’en étudiant cette option militaire, il faut que nous soyons conséquents. On a vu que lors de cette offensive (celle de Goma), notre armée a été mise en difficulté. La ville de Goma a une particularité : c’est une ville qui est adossée à une frontière. Donc elle est difficile à défendre. Sur ce point, je vais rappeler une anecdote. Vous savez que lors de la défaite de l’Allemagne en 1917, toutes ses colonies avaient été réattribuées par mandat à la Société des Nations, notamment les colonies comme le Rwanda-Urundi attribuée aux Belges, et le Togo qui était aussi une colonie allemande, il avait été partagé entre la France et l’Angleterre. Ce qui fait qu’il y avait une partie du Togo qui avait été incorporée au Ghana. Le premier président du Togo Sylvanus Olympio souhaitait revendiquer le retour de cette partie incorporée au Ghana. Et lorsque le Général de Gaule avait vu que la ville d Lomé est frontalière, ceux qui ont été à Lomé le savent, cette ville est frontalière au Ghana, il avait dit que cette ville est indéfendable. C’est le cas de Goma. Lorsqu’on défend Goma, il faut tenir compte de beaucoup des choses. Vous avez qu’il n’y avait même pas de base de dégagement. Il n’y a qu’une base à Bukavu qui était opérationnelle et l’aéroport de Goma est très exposé, son aéroport est très vulnérable. Donc, il fallait prendre des mesures en conséquence, avoir d’autres bases de dégagement où entreposer du matériel ou une base de repli. Or nos garçons se sont retrouver dans une nasse à Goma, entre deux feux. Ils ne savaient même pas comment s’échapper par le lac, parce que sur le lac, nous n’avons même pas une force navale pour sécuriser les mouvements des bateaux, des navires, des bateaux militaires sur ce lac. Donc nous sommes très vulnérables, ce qui fait que lors de cette attaque, l’ennemi avait beaucoup d’atouts dus à nos faiblesses. Donc nos stratèges militaires, de ce côté-là, ont eu une carence. Alors si on garde cette option militaire, il faut corriger ces carences. Mais l’option militaire doit être là parce que trop c’est trop, le Rwanda doit nous respecter. Nous devons mettre à niveau notre armée de façon à ce que nous puissions, le cas échéant, aller à l’affrontement pour récupérer nos villes.
GH : Nous voyons que le front diplomatique s’est fortement activé. La RDC a demandé et obtenu une session spéciale au Conseil de sécurité des Nations Unies. La communauté d’Afrique de l’Est et la SADC ont convenu d’avoir une réunion conjointe sur la RDC. Que répondez-vous à ceux qui estiment que la seule solution à la crise congolaise est l’option diplomatique et politique qui doit être prise au niveau régional ?
C K : Evidemment que la RDC est engagée dans des pourparlers diplomatiques pour résoudre cette crise. C’est une crise qui a des dimensions régionales, parce que la RDC est membre des organisations sous régionales, notamment l’EAC et la SADC. Notre bonne volonté a toujours été présente. Nous avons adhéré à l’EAC, nous sommes membre de la SADC et nous sommes des belligérants malgré nous. Car aujourd’hui, nous n’avons aucune raison d’aller affronter le Rwanda, nous n’avons aucune raison d’aller affronter n’importe quel autre pays de la région. Nous sommes plutôt agressés. Dans cette agression, nous avons vu des complicités. Des complicités claires de l’Ouganda et une complicité plus feutrée du nouveau pouvoir Kényan. Ce qui est vraiment déplorable. Donc, nous sommes demandeurs de la diplomatie parce que nous sommes des belligérants malgré nous. Des belligérants parce que nous sommes obligés de nous défendre. C’est-à-dire nous combattons pour la bonne cause dans ce conflit. Donc tous les volets diplomatiques. Je salue au passage notre ministre des affaires étrangères qui se montre très pugnace, qui fait un travail formidable. Et avant elle il y a eu son excellence Christophe Lutundula qui était également très offensif sur cette question. Donc, nous devons bien sûr privilégier la diplomatie parce que nous ne sommes pas un Etat agresseur. Nous sommes agressés. Nous réceptifs aux initiatives diplomatiques. Nous avons toujours été à tous les rendez-vous, sauf le rendez-vous qui étaient en quelque sorte des pétards mouillés par le fait de l’ennemi dans sa fourberie. Je pense que tous les observateurs ont constaté cela. Donc voilà, diplomatie, diplomatie, diplomatie, mais comme je disais un peu plutôt, diplomatie mais tout en se préparant militairement pour défendre notre territoire.
GH : Le président de la république est à la tête d’une coalition qui comprend quand-même la quasi-totalité des parlementaires et tous les gouverneurs. Comment expliquer des réactions aussi timides au sein de cette majorité qu’on appelle l’Union Sacrée ?
C K : C’est une question très pertinente. La tiédeur qu’on voit aujourd’hui, démontre le fait que la classe politique congolaise est là d’abord pour ses propres intérêts et non pour l’intérêt de la nation. Je vais encore faire une référence historique. Ça me rappelle, vous savez que lors des premières élections libres au Congo, qui avaient vu la victoire du MNC Lumumba, le choix de Lumumba pour composer le premier gouvernement du Congo indépendant. Lumumba avait formé un gouvernement qui avait rassemblé plus de 60% des tendances politiques. Je pense même que c’était au-delà de 60, disons 80% des tendances politiques. Malgré cela, il y avait des mécontents. Il y avait ceux qui s’étaient mis à menacer de faire sécession dans leurs coins, simplement parce qu’ils n’avaient pas trouvé satisfaction, alors que le premier ministre Lumumba avait fait de son mieux pour satisfaire tout le monde. Cela ne date pas d’aujourd’hui, c’est une tare congolaise. C’est vraiment déplorable, ça nous affaiblit en interne et notre ennemi en profite. C’est pourquoi il y a toujours des congolais dans ces histoires de rébellion, créées de toutes pièces. On voit encore aujourd’hui, tous ces fantoches qui sont là. C’est ce manque de patriotisme, cet esprit de division qui est une grande faiblesse. C’est vraiment déplorable. Et des gens qui sont autour du chef de l’Etat, qui bénéficient de tous les avantages et fonctions ainsi de suite, mais qui sont incapables de se montrer de ce qu’on attend d’eux, dans un moment pareil où la nation est agressée, la nation est en deuil. C’est vraiment déplorable.
GH : Parmi les forces vives de la nation, il y a aussi le FCC dont l’Autorité Morale, l’ancien président Joseph Kabila avait été désigné par le président de la république Félix Tshisekedi comme le parrain des rebelles. Dans ces conditions, est-il possible de compter sur le FCC pour venir faire bloc autour du chef de l’Etat pour faire face aux rebelles ?
C K : Lorsqu’on parle d’unité nationale, cette unité est censée concerner tout le monde. Donc, le FCC a sa place également dans ce cadre consultatif de concertation avec les forces vives de la nation. Donc il est appelé à montrer son patriotisme. Maintenant, vous avez évoqué la déclaration du président de la république sur des accointances entre l’autorité morale du FCC et ce mouvement qu’on appelle l’AFC. Je ne sais pas quelles informations le chef de l’Etat a. C’est une déclaration dont je ne connais pas les soubassements. Donc je me garderai de la commenter. Ce sont des choses auxquelles nous les citoyens lambda on n’a pas accès. En tout cas, l’unité nationale autour du chef de l’Etat, avec le gouvernement de la république, avec tous les élus et toutes les forces vives de la nation est un impératif qui s’impose à nous tous dans ces circonstances. Personne, en principe n’est exclu. A moins que chacun ait eu un cheminement ce dernier temps que l’on ignore. Selon moi tous sont appelés, y compris le FCC.
Propos recueillis par Patrick Ilunga

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com