Seule femme parmi les 13 personnalités qui ont choisi de défendre l’idée d’une réforme électorale, Manya Riche n’est pas née de la dernière pluie dans le domaine des négociations, même si elle revendique son appartenance à la société civile, son activisme dans le domaine de la recherche de la paix est bel et bien connue. Fine diplomate au réseau très fournie, elle est convaincue que les efforts d’obtenir un consensus sont la voie de la sagesse et la possibilité d’obtenir un processus apaisé en 2023. Elle est optimiste et pense que l’ensemble des acteurs même ceux qui sont sceptiques aujourd’hui, arriveront à une commune vue d’autant plus qu’il s’agit de préserver l’intérêt général. approchée par Geopolis Hebdo, elle a fait le point de la démarche et a tracé le chemin de son achèvement.
1. Vous êtes la seule femme et non politique du groupe de 13 qui militez pour la réforme électorale, comment expliquez-vous votre engagement ?
Personnellement je déplore qu’il n’y ait formellement pas plus de femmes dans le g13, même si je dois d’emblée souligner qu’elles sont nombreuses à nous soutenir dans notre démarche. Certaines d’entre elles ont eu à élaborer un cahier de charge qui intègre l’aspect genre dans la Reforme du processus électoral, en application à l’article 14 de notre constitution qui consacre la parité.
Mon engagement par rapport à cette initiative s’explique principalement par le fait que les trois derniers cycles électoraux ont été entachés de violences pré et post électorales qui ont couté des vies. La conséquence est que les crises de légitimité qui s’en suivent, mettent à mal l’exercice du pouvoir, ce qui a pour conséquence le retard dans le développement harmonieux et inclusif du pays, aussi le défi ici consiste à briser cette tendance dévastatrice qui se répète à chaque cycle électoral. Comment trouver un mode d’accès au pouvoir issu d’un consensus sociétal, qui nous permette de passer de ces conflits anarchiques, à des conflits organisés, ordonnés, issus d’une compétition assainie, aux règles du jeu assimilées par tous ? Pour cela, il nous faut des élections de qualité tant sur le plan technique que sur celui de l’éthique. Il reste également important de se choisir des animateurs dans les institutions d’appui à la démocratie, comme la Ceni par exemple, ou encore le CSAC, qui inspirent confiance au plus grand nombre, et qui respirent la crédibilité. Un défi !
Pour y parvenir, cela exige de la part des acteurs un dépassement des clivages. Nous devons également élaborer des lois électorales qui ne donnent pas l’impression d’être taillées sur mesure. Rappelons-le que les lois électorales sont des lois d’arbitrage et se doivent obligatoirement de revêtir un caractère impersonnel. D’où la pertinence de notre initiative inclusive qui recherche le consensus sur la Réforme du processus électoral, reforme entendu comme l’apport de correctifs qui nous amènent à un meilleur devenir collectif.
2. A ce jour quel bilan faites-vous de vos contacts avec les différents milieux ?
Ecoutez, nous avons en un temps record pu rencontrer et avoir des échanges très constructifs avec les principaux acteurs institutionnels et non institutionnels concernés par la Réforme électorale, comme le Président, le Gouvernement, la Ceni, toutes les grandes confessions religieuses et le Cadre national de concertations de la Société civile, les activistes. La rencontre avec le cardinal s’est bien déroulée.
Nous avons également dans notre démarche approché les acteurs politiques clé, comme Jean Pierre Bemba, qui nous a encouragé dans la démarche. Ce dernier a exprimé le vœux de voir la réflexion menée autour d’un meilleur mode de gestion des contentieux électoraux. Nous maintenons les échanges avec les autres acteurs tels que Martin Fayulu, Moise Katumbi, Adolphe Muzitu, Vital Kamerhe, Modeste Bahati, Jean Jacques Kabund. Nous comptons évidement élargir le cercle au fur et mesure que notre calendrier d’actions se peaufine. Surtout que pour assurer une bonne continuité dans nos interactions avec les différentes composantes, nous avons mis en place un système prometteur à travers les points focaux que les structures nous désignent au fur et à mesure.
Les interlocuteurs que nous avons déjà jusque-là rencontré ont salué notre initiative à l’unanimité et certain ont exprimé leur satisfaction d’avoir une initiative qui amène un bol d’air frais dans un microcosme pollué. Ceci est évidemment pour nous très encourageant !
3. Que pensez-vous de la réticence du Fcc, première force politique du pays, qui estime que votre démarche devait rester et être inscrite au sein des institutions ?
Il faut souligner qu’un contact existe avec les grandes pointures du FCC, même si celui-ci reste encore relativement timide à ce stade du processus.
Nous avions tôt émis le souhait de rencontrer l’autorité morale du FCC, le sénateur Joseph Kabila et nous sommes en attente de son feedback par rapport aux modalités de cette rencontre.
Apres avoir rencontré le Premier Ministre, une rencontre qui avait été programmée avec la présidente de l’Assemblée Nationale a été annulée en toute dernière minute, pour raison d’incompatibilité d’agendas. Ce n’est évidemment que partie remise.
S’il est vrai que notre démarche reste républicaine, et que nous sommes tous d’accord que les lois se débattent et se votent au parlement, il n’en reste pas moins vrai qu’elles doivent être avant tout la traduction de la volonté populaire. Considérant la complexité de notre environnement géopolitique et social, les propositions ou projets de lois qui seront ici sous examen ont un caractère sensible, et doivent faire l’objet d’une large consultation en amont. Elles devront également faire l’objet d’une appropriation au niveau de la population. En cela nous voyons la remontée au niveau institutionnel de la matière récoltée chez les différentes composantes, comme un corollaire à notre démarche actuelle. Sur ce point, c’est à dire l’aboutissement dans le cadre institutionnel, nous pouvons dire que nous sommes en harmonie avec la préoccupation émise par le FCC.
Le FCC n’est pas sans savoir que la précédente session parlementaire s’est achevée sur un air de crise au sein de la coalition au pouvoir, notamment en ce qui concerne l’entendement du mode d’entérinement du président de la Ceni. Et je crois savoir que cette question n’a pas encore trouvée réponse à ce jour. Au contraire, les vues semblent être difficile à concilier, entre d’une part ceux qui disent qu’il nous faut designer les nouveaux animateurs de la Ceni avant d’entamer les reformes, et ceux qui indiquent que la réforme de la loi organique sur la Ceni doit être un préalable à tout renouvellement de ces animateurs. C’est pour dire…
Au FCC je voudrais dire : lorsque quelqu’un qui se considère comme le plus fort, passe son temps à montrer ses muscles, que rajoute-t-il donc à son mérite? Au contraire, la vrai grandeur du plus fort, c’est lorsqu’il sait regarder vers, s’ouvrir à, et prendre le droit d’exister du plus faible en considération.
4. Que répondez- vous à ceux qui voient dans votre démarche une tentative de positionnement pour un éventuel partage des postes ?
Sur cette question une polémique est née que pour ma part j’ai eu à qualifier de périphérique, stérile et nombriliste ; une polémique provoquée par des gens qui malgré la gravité de l’heure, semblent se complaire et se perdre dans des complexités allégoriques, en marge des contenus. Je voudrais ici recentrer notre initiative sur l’essentiel, c’est à dire la recherche d’un consensus autour d’agenda électoral citoyen, lequel sera au moment opportun reversé au sein des institutions, pour un heureux aboutissement. Et nous espérons que cela pourra être fait le plus rapidement possible. Nous rappelons que 2023 c’est déjà demain. Il nous reste à peu près 1000 jours jusque aux prochaines élections. Aussi est-il plus que temps que chacun fasse preuve de dépassement, afin que cet agenda citoyen puisse se matérialiser, à supposer nous voulons tous œuvrer pour des élections dignes de ce nom. La tâche est colossale, elle mérite tout notre sérieux.
A ceux qui ont fait le choix de continuer à renier notre démarche, malgré nos tentatives répétées de les rassurer, nous disons : Recentrons dans un tel cas le débat au moins sur l’objet de notre initiative. Les défis qui nous attendent restent énormes. Il existe une profonde crise de confiance de la population envers les institutions mises en place. Le congolais moyen continue à gagner moins de 2 usd par jour. La base est la première victime lorsque les conflits liés aux élections éclatent. Or nous savons tous que l’une des raisons majeures de la persistance de ces crises et conflits, c’est justement parce que nous n’arrivons jamais à nous mettre d’accord sur les règles du jeu concernant le mode d’accès au pouvoir. Aussi convergeons au moins vers l’essentiel. Et que nos politiques aient le courage de lister publiquement les divergences. Ensuite il s’agira de tracer les lignes rouges respectifs d’un côté, et de répertorier les matières à consensus de l’autre. Il faut dans ce pays, cesser de prendre le mode d’accès au pouvoir en otage. Au moins ainsi, nous aurons avancé ! Et vous les journalistes, ne reviendrez plus ici me poser les mêmes questions dans 10 ans, en espérant que le peuple ne se sera pas pris en charge autrement d’ici là !
5. Quelles sont les raisons de blocage de l’obtention de ce consensus alors que cela paraît au bénéfice de tous ?
Il faut absolument trouver le moyen de rebâtir la confiance entre les acteurs. Dans les échanges que nous menons à l’heure actuelle, ce besoin se fait ressentir de manière pressante. Pour ce faire, au-delà de faire montre de bonne foi et du sens de l’éthique, il n’y a pas de secret. Il nous faut des règles du jeu sur le processus électoral qui sont plus claires, et surtout acceptées par la majeure partie des acteurs en présence, en ce inclus les électeurs. Les élections sont l’affaire de tous. S’il y a les élus c’est qu’il y a des électeurs ; nous avons souvent tendance à oublier cela. Nos élus aussi bien au niveau national que local, doivent pour le prochain cycle électoral pouvoir être considérés comme légitimes et acceptés par la population, ce grâce a un système électoral jugé crédible par l’électorat, ainsi que par les autres parties prenantes au processus.
La décision consensuelle est horizontale. Elle s’obtient souvent de façon laborieuse et parfois périlleuse. Toutefois il faut souligner que les décisions qui sont prises par consensus sont celles qui sont les plus aptes à s’inscrire dans la durée, ayant souvent un fort degré d’appropriation. Encore faudrait t-il que les acteurs, une fois le consensus trouvé, soient capable de respecter les engagements souscrits. Et c’est là où réside toute la difficulté. Nos lois ne sont pas si minables que cela. C’est notre grande capacité à chaque fois y déroger qui est génératrice de crises et de déséquilibres.
6. Avez-vous un message à adresser à l’opinion sur la pertinence de votre action ?
J’ai juste envie de dire à nos concitoyens : restons vigilants. Accompagnez-nous, dans cette initiative, elle est la vôtre. Et surtout, une fois que l’agenda électoral citoyen qui est cours d’élaboration sera mis sur pieds, il s’agira de s’assurer tous ensemble, que les acteurs engagés par rapport à cet agenda, respecteront bel et bien leurs engagements respectifs. Ou à défaut, il nous faudra trouver un mécanise contraignant approprié.
Fixons nous l’objectif d’amener le navire du processus électoral à bon port, et ce n’est que Ensemble que nous y parviendrons, par un consensus sociétal.
Nous rappelons que le parlement n’est censé être que le reflet des aspirations profondes de la population. Or le constat amer est que c’est l’inverse qui se produit. Au bout de 3 cycles électoraux, le peuple congolais est devenu le simple marche pied, au service d’une classe politique et sociale désarticulées de leurs obligations de redevabilité. Cela doit changer, que le peuple reprenne son pouvoir.
L’opinion est le vigile, Tenons bon !
7. Un mot sur l’engagement de la femme dans les questions politiques et communautaires ?
Derrière un grand homme se cache une grande femme. C’est un adage connu et remâché.
Et si je veux le redéfinir en quelques mots je dirais :
Femme sort à présent de l’ombre et ose toi à démontrer, dans les feux des remparts, ce leadership que tu exerces déjà étonnamment bien dans les coulisses.
Le temps du leadership au féminin a sonné !
Propos recueillis par WAK

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com