À peine que le communiqué du département d’État américain sur l’accord à venir entre le Rwanda et la RDC a été rendu public qu’il a suscité des vives réactions dans une partie de l’opinion Congolaise. Le mot qui fâche ? L’intégration conditionnelle des groupes armés. Cette ligne rouge pour l’État Congolais est coulé en forme d’interdiction votée par l’Assemblée nationale pour que jamais ceux qui ont pris les armes, rejoignent l’armée nationale. 

Les réactions enflammées de certains Congolais s’enchaînent. « L’évocation d’une intégration conditionnelle sans les détails nécessaires risque fort de générer une vive indignation. Pour cette raison, il est crucial de fournir des explications exhaustives », a interpellé un internaute. Un autre ajoute : « L’intégration conditionnelle n’est pas différente du mixage. Ne trompez pas l’opinion. C’est la même chose, c’est juste les termes qu’on veut habiller ». Jonas Tshiombela, un acteur de la société civile à Kinshasa parle d’un « recyclage dangereux ». Il rappelle les nombreuses négociations de paix qui se sont soldés par une paix non durable. Les négociations de « Sun City, Kampala, Luanda, Nairobi… autant d’accords signés, autant de trahisons. Pour lui, « l’expérience a prouvé que les signatures ne suffisent pas. Elles aboutissent souvent à une intégration biaisée des groupes armés dans les structures de l’État : un recyclage dangereux ». Tshiombela se montre particulièrement inquiet du retour en force d’un concept flou : l’« intégration conditionnelle » des ex-rebelles. « Quand le chemin est brumeux, c’est toujours le faible qui tombe », note-t-il. « 

À ces préoccupations, Tina Salama, porte-parole du président Félix Tshisekedi répond, en donnant des éclaircissements : C’est « une intégration conditionnelle basée uniquement sur le Programme de désarmement, démobilisation, réhabilitation communautaire et stabilisation (PDDRCS), qui reflète en réalité notre position sur le respect du processus de Nairobi ».

Tshiombela indique pour sa part que « le P-DDRCS, censé démobiliser et réinsérer les anciens combattants de manière communautaire et non militaire, devient pour  un simple cache-misère. Il redoute que ce programme serve de paravent à des retours en grâce illégitimes dans l’armée et l’administration. « On ne trie pas les criminels, on les juge. On ne récompense pas les armes, on les détruit », assène-t-il, avant de poursuivre : « Intégrer un ex-chef rebelle dans une structure publique, c’est trahir les soldats loyaux, humilier les martyrs, et ouvrir une autoroute à la récidive violente ».

Mercredi, les équipes du Rwanda et de la RDC ont paraphé un pré-accord de paix en présence de la sous-secrétaire d’État américaine aux Affaires politiques, Allison Hooker, en vue de la signature ministérielle de l’accord de paix le 27 juin 2025, en présence du secrétaire d’État américain Marco Rubio. « L’accord a été élaboré au cours de trois jours de dialogue constructif sur les intérêts politiques, sécuritaires et économiques. L’accord comprend des dispositions sur le respect de l’intégrité territoriale et l’interdiction des hostilités ; le désengagement, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques ; la mise en place d’un mécanisme conjoint de coordination de la sécurité qui intègre le CONOPS du 31 octobre 2024 ; la facilitation du retour des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays, ainsi que l’accès humanitaire ; et un cadre d’intégration économique régionale », lit-on dans le communiqué de presse du département d’État.

Les discussions ont connu aussi la participation des représentants du Qatar qui ne ménage pas ses efforts pour conduire avec succès le processus de paix entre les rebelles du M23 et le gouvernement de la RDC. La présence du Qatar aux discussions entre le Rwanda et la RDC était pour assurer la complémentarité et l’alignement des initiatives des deux pays visant à favoriser le dialogue et la paix dans la région.

Le département d’État se réjouit de cette avancée. Les autorités américaines comptent faire avancer les pourparlers de paix en RDC et impulser la désescalade entre le Congo et le Rwanda. Sauf que rien ne garantit que les engagements signés par les équipes techniques des deux pays seront validés par les autorités des deux pays. En 2024, parfois les engagements pris par les équipes techniques étaient remis en question par les ministères des affaires étrangères des deux pays, retardant les pourparlers de paix.

Le département d’État annonce que le Rwanda et la RDC devraient mettre en œuvre le CONOPS ( concept des opérations) d’octobre 2024. En octobre 2024, Kinshasa et Kigali avaient prévu de lancer a une structure appelée Mécanisme de vérification Ad- hoc renforcé (MAV-R). Cette nouvelle structure, qui devait être composée des officiers du Rwanda et de la RDC avait été lancée à Goma le 5 novembre, en présence des autorités Congolaises et Rwandaises, suscitant l’espoir d’une paix durable. Mais depuis, les échecs ont succédé aux espoirs de paix et la guerre avait empiré quelques semaines après, s’étendant à Goma et Bukavu, en plus d’autres territoires et localités du Nord et Sud – Kivu.

Cette fois-ci, les États-Unis d’Amérique affirment vouloir déployer à fond ses efforts diplomatiques afin de parvenir à une durable en RDC. Mais il faut dire que la guerre entre le M23 et l’armée congolaise est loin d’être terminée. Les rebelles se cramponnent dans plusieurs territoires. Le groupe rebelle a mis en place une administration parallèle à Goma et Bukavu. L’arrivée de l’ancien président Joseph Kabila dans cette ville a ajouté une tension supplémentaire à la guerre en RDC.

Malgré cette situation complexe, les États-Unis croient en la paix dans la région. Une attitude nuancée par certaines figures de la RDC. Le Prix Nobel de la paix, le gynécologue Denis Mukwege estime que « aucun accord ne doit passer sous silence les massacres à grande échelle qu’on subit la population civile congolaise, les viols commis sur des centaines de milliers de femmes, et les déplacements forcés de millions de personnes ». Pour lui, la justice doit passer avant tout accord de paix. « Dans l’état actuel, l’accord en genèse reviendrait à accorder une prime à l’agression, à légitimer le pillage des ressources naturelles congolaises et à contraindre la victime à aliéner son patrimoine national en sacrifiant la justice en vue de garantie une paix précaire et fragile », déclare Mukwege.

« Nous réitérons notre circonspection face à des efforts de médiation qui éludent la reconnaissance de l’agression de la RDC par le Rwanda et un processus caractérisé par son caractère opaque et non inclusif, qui laisse à penser qu’il est à l’avantage de l’agresseur non sanctionné, qui verra ainsi ses crimes du passé et du présent blanchis en  coopération économique », indique le célèbre gynécologue, qui ajoute : « Aucun accord ne doit passer sous silence les massacres à grande échelle qu’on subit la population civile congolaise, les viols commis sur des centaines de milliers de femmes, et les déplacements forcés de millions de personnes ».

Jonas Tshiombela, fait remarquer : « Quand la paix se négocie sans témoins, les peuples deviennent les otages du silence ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *