Donné pour mort par certains médias et déclaré vivant par d’autres, Valentin-Yves Mudimbe, devenu Valentin Mudimbe Yoka à la suite de la zaïrianisation, est rapidement réapparu dans l’actualité, tout comme son œuvre dense, traversée par les tensions entre héritages multiples et identités fragmentées.
« C’est un immense écrivain, l’un des plus grands penseurs africains de notre temps. Il a tant apporté à la littérature, à la pensée critique et au rayonnement culturel de notre pays, de l’Afrique et du monde. Par une œuvre abondante et plurielle (romans, poésie, essais, mémoires, chroniques, autobiographies, biographies). Il a marqué son époque », témoigne Laurent Kalombo Tshindela, journaliste et écrivain, initiateur de la bibliothèque Rehoboth de Bandal.
Parmi ses essais majeurs, « L’Invention de l’Afrique », publié initialement en anglais en 1988, puis traduit bien plus tard en français en 2021 par les éditions Présence Africaine, demeure un classique incontournable des études africaines, écrit rfi dans un article publié ce 22 avril. Laurent Kalombo Tshindela y voit « une œuvre qui contient en elle toute une bibliothèque : coloniale, postcoloniale, philosophique, ethnographique, linguistique, humaine ».
Par ce texte fondateur, Mudimbe a ouvert la voie à une lecture décentrée de l’histoire africaine. Il a démasqué les rouages intellectuels de la colonisation, montré comment l’Afrique avait été « inventée » et déformée par des regards extérieurs, et surtout, il a offert aux Africains la possibilité de se réapproprier leur propre récit. C’est là, dit Laurent Tshindela, un héritage précieux : celui de penser l’Afrique par elle-même, hors des schèmes eurocentrés.
Et pourtant, comme beaucoup de grands écrivains congolais, sa place dans la littérature africaine reste sujette à débat, regrette Katsh Katende :
« Depuis son exil, il n’a jamais cessé d’écrire. Mais ses livres ont-ils été véritablement diffusés sur l’ensemble du continent ? Là où la littérature francophone domine, les grands noms congolais sont trop souvent marginalisés. »
D’où son appel pressant aux autorités pour qu’elles s’engagent dans la promotion active des œuvres de Mudimbe. Il plaide pour que l’auteur soit enseigné dans les écoles, dès la 5ᵉ jusqu’à la fin du secondaire. Pour que les générations futures puissent hériter de cette pensée, ancrée dans l’exigence, l’indépendance et la rigueur intellectuelle. Sans cela, prévient-il, le passage de Mudimbe pourrait sombrer dans l’oubli, comme celui de tant d’autres.
« Que faisons-nous de son œuvre ? Le ministère de la Culture et celui de l’Éducation doivent s’unir pour rééditer, redistribuer et diffuser massivement ses écrits. Il faut les rendre accessibles, abordables, présents dans chaque bibliothèque, chaque salle de classe. »
Une réflexion partagée par l’ambassadeur André-Alain Atundu Liongo, qui appelle à la création d’un Panthéon des écrivains congolais : un lieu de mémoire et de transmission, pour valoriser les grandes figures littéraires nationales et raviver leur pensée, qu’il estime intemporelle.
« L’écrivain écrit pour tous. C’est à la société de s’approprier son œuvre. Ce panthéon serait un acte fort : une reconnaissance, mais surtout une fondation pour notre mémoire collective. »
Né à Likasi (anciennement Jadotville), dans l’actulle province du Haut-Katanga, le 8 décembre 1941, Mudimbe reçoit une éducation classique chez les moines bénédictins, jusqu’à y faire son noviciat. À 21 ans, il quitte la vie religieuse et part étudier la philosophie à Louvain, en Belgique. De retour, il enseigne à l’université de Lubumbashi et contribue activement aux revues intellectuelles du pays.
Mais en 1979, alors que le régime de Mobutu tente de l’absorber politiquement en le nommant au Comité central du MPR, Mudimbe prend la tangente. Le même jour, il traverse la frontière, se réfugie en Zambie, puis part en exil. Un départ qui restera un geste symbolique, inspirant :
« Il a refusé de se compromettre. Un intellectuel se doit de rester libre. Ni l’argent, ni les titres ne doivent l’aveugler. », commente Katsh Katende
Son exil le conduit en Europe, puis aux États-Unis, où il enseigne notamment à l’université de Stanford. Il y développe un travail critique d’une rare rigueur.
Auteur de plus de quarante ouvrages, Mudimbe s’attèle à déconstruire les regards imposés à l’Afrique. Dans L’Invention de l’Afrique, il théorise le concept de bibliothèque coloniale, qui désigne cet ensemble de discours (explorateurs, missionnaires, anthropologues) ayant fabriqué une image tronquée du continent. À cette construction, il oppose la nécessité d’une bibliothèque africaine : un savoir produit par les Africains eux-mêmes, sur leur histoire, leur culture, leur monde.
Philosophe, romancier, poète, Valentin Mudimbe est l’auteur de plusieurs œuvres marquantes, dont Entre les eaux, Bel immonde, L’Écart, ou encore L’Odeur du père. Des titres qui explorent les frontières entre tradition et modernité, mémoire et oubli, centre et marge.
L’Invention de l’Afrique, en particulier, est désormais considéré comme un classique de la pensée africaine contemporaine, l’un des ouvrages les plus lus dans les départements d’études africaines aux États-Unis.

Don Momat est à la fois formateur, blogueur et journaliste. Il aime surfer sur les faits quotidiens pour écrire des textes permettant au lecteur de plonger dans l’actualité. Son style, à la fois simple et teinté d’humour, vise à aider ses lecteurs à mieux comprendre les faits politico-économiques, voire sanitaires, qu’il aborde avec simplicité et modestie. Pour lui, le voyage constitue une véritable source d’inspiration.