24 avril 1990, cité de la N’sele. En face du Maréchal, des membres du gouvernement de l’époque, magistrats, officiers supérieurs de l’armée, commissaires du peuple et membres du comité central du mouvement populaire de la révolution (MPR). Mobutu Sese Seko, Président de la République du Zaïre qui dit son discours annonce avoir décidé seul devant sa conscience de tenter l’expérience du pluralisme politique dans son Zaïre, avec à la base le principe de la liberté pour chaque citoyen d’adhérer à la formation politique de son choix. Pour ce qui est du rôle qu’il devra désormais jouer, il l’évoque lui-même dans son discours. « Que devient le chef dans tout cela ? » s’interroge-t-il avant de poursuivre « Je vous annonce que je prends ce jour congé du Mouvement populaire de la révolution, pour lui permettre de se choisir un nouveau chef devant le conduire… ». S’en suit alors un silence de quelques secondes, suivi d’un regard presque hagard avant de voir le maréchal verser des larmes et lâcher tout de suite après sa célébrissime phrase à trois mots : « Comprenez mon émotion ».

Le résultat de la chute du mur de Berlin, qui entraîne dans son sillage les démocraties populaires n’a pas épargné le Zaïre de l’époque, mais aussi certains pays d’Afrique. Mobutu assiste même non pas sans effroi à la mort infligée par le peuple roumain à son ami le dictateur Nicolae Ceausescu.

Ce 24 avril là, le Président Mobutu ouvre les vannes de la démocratisation du pays. Et les zaïrois n’ont pas attendu pour savourer cette nouvelle liberté. Le soir-même, les vieilles cravates sortent des tiroirs, pour les hommes et le port des pantalons interdit aux dames refait surface. Au diable le retour à l’authenticité africaine décrété par le Président Fondateur. Très vite, les conséquences du nouveau vent se font sentir. Des dizaines de journaux apparaissent ; des partis politiques nouvellement créés poussent comme des champignons. Fini le temps du monopole du Mouvement populaire de la révolution, parti Etat/Parti unique.

Le maréchal n’a donc pas d’autres choix que de se plier aux nouvelles habitudes même s’il tentera des temps à autres à vouloir reprendre de la main gauche ce qu’il aurait donné par sa main droite. Résultats : la série des pillages que connait le Zaïre en 1991 et 1993. Ce qui conduit à l’organisation de la Conférence nationale souveraine devant mener à une transition en douceur vers la démocratie et aux élections pour une troisième République. Plus de 2 600 personnes prennent part à ce rendez-vous qui se tient au palais du Peuple, à Kinshasa. Le siège du Parlement devient alors la caisse de résonance des complaintes et des espoirs de tout un peuple tenant à corps et à cris à expérimenter à tout prix la démocratie. En août 1992 ; la Conférence finit par élire l’opposant historique Étienne Tshisekedi au poste de Premier ministre de la transition. Le début d’un long bras de fer entre Mobutu et l’opposition, qui s’achèvera par le limogeage du Sphinx de Limete en janvier 1993 et la fermeture forcée des travaux de ladite conférence nationale souveraine.

A l’usure du temps, Mobutu qui semble avoir perdu la main sur les événements résiste encore avant de voir son pouvoir renversé en 1997 à l’issue de la rébellion menée par l’alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par un certain Laurent-Désiré Kabila qui devient le troisième président du pays rebaptisé Congo en lieu et place de Zaïre. Alors que son avènement au pouvoir avait suscité beaucoup d’espoirs quant à l’installation d’une véritable démocratie, Mzee Kabila n’aura pas les faveurs des occidentaux et passera le clair de son temps à faire la guerre avec ses anciens alliés rwandais et ougandais. Son mérite restera celui d’avoir réussi à forger parmi ses concitoyens un sentiment patriotique. Laurent-Désiré Kabila fini par être assassiné au bout de ses 4 ans de pouvoir. C’est son fils, Joseph Kabila qui lui succède à la tête du pays.

C’est à l’actif de Joseph Kabila qu’on peut inscrire les véritables avancées démocratiques. Avec plus de 600 partis politiques, il organise le Dialogue Inter congolais de Sun City qui pacifie le pays entre déchiré par plusieurs rebellions. Il dote le pays d’une constitution et organise les premières élections libres, transparentes et démocratiques en 2006, 2011 et 2018.
Fort de l’accord dit de la Saint Sylvestre ; il organise les élections de décembre 2018, auxquelles il ne se représente pas mais dont il désigne un dauphin. Il accepte finalement la défaite. Acte éminemment démocratique qui fait de lui le père de la première alternance pacifique et civilisée que connait le pays à travers son histoire…

En janvier 2019, Félix Tshisekedi, fils de l’opposant radical à Mobutu et Joseph Kabila , fils de L.D Kabila , 3eme président du pays procèdent à la toute première cérémonie de remise et reprise entre chef de l’Etat entrant et sortant.

A l’issue de ces élections, Joseph Kabila et son successeur Félix Tshisekedi coalisent leurs forces pour gérer ensemble le gouvernement au sein d’une majorité CACH-FCC. Voulant consolider les acquis de son prédécesseur, Félix Tshisekedi tente tant bien que mal d’asseoir un État de droit basé sur l’indépendance de la justice, la lutte contre l’impunité. Cerise sur le gâteau, les droits et libertés, notamment la liberté des manifestations, la liberté de la presse et de l’opposition sont au rendez-vous. On peut donc dire tout haut qu’en 31 ans des pratiques démocratiques, la RDC a gagné bien des places même si la démocratie reste encore un instrument d’organisation pour accéder au mangeoire, la pratique de la démocratie fonctionnant encore en mode de partage de gâteau.

Michel KAYAK

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