Par delà le temps et les circonstances, la date du 24 avril 2025 a servi de déclencheur pour remonter à la mémoire historique le rôle éminent joué par des jeunes à l’époque pour capter le sens de l’histoire. Ils étaient étudiants et avaient précédé les grandes messes comme la Conférence Nationale Souveraine, la table ronde des professeurs. Ils avaient créé un groupe dénommé groupe de l’unité avec Christian Kyony à sa tête. C’était une génération de la promesse. Aujourd’hui ils sont devenus de grands messieurs pour certains et ont décidé de s’exprimer. Christian Kyony qui signe cet édito avec Willy Kalengay, la publie en mémoire de José Nawej un autre géant, arraché très tôt à la sève nationale.
24 avril 1990 – 24 avril 2025: Que sont devenus nos rêves ?
Il était une fois une génération qui avait été nourrie aux mamelles du parti-État, mais qui fut frappée par la force de conviction du combat de leurs aînés qui se battaient pour l’avènement d’un État de droit. Le 24 avril 1990, alors que Mobutu annonçait la fin du parti unique et l’aube de la démocratie, en écho à la chute du mur de Berlin et aux Conférences Nationales qui balayaient l’Afrique, nous étions jeunes et pleins de rêves. L’Amérique se dressait alors comme le phare incontesté de la démocratie mondiale, portant haut les valeurs de liberté, de transparence et de droits humains auxquels nous aspirions tant à embrasser. Les États-Unis, vainqueurs de la Guerre froide, incarnaient ce modèle démocratique que nous voulions imiter, cette terre promise politique vers laquelle nos regards se tournaient avec espoir.
Nous avions une forte aspiration à la liberté, surtout à celle de penser et de parole. Nous avions vécu sous une chape de plomb où la JMPR (Jeunesse du Mouvement Populaire de la Revolution), nous menait au son des Djalelos. C’est pourquoi ce jour-là, le 24 avril 1990, fut pour nous un grand jour, la possibilité d’un monde nouveau, un monde d’égalité des droits où le système des quotas allait laisser place à la méritocratie.
C’est sur les campus universitaires que cette soif de changement s’était d’abord manifestée. Nous, étudiants de l’université, avions transcendé nos différences ethniques et régionales pour former une coalition de pensée et d’action. Notre unité, forgée dans les amphithéâtres surchauffés et les discussions passionnées des cités universitaires, avait abouti à la mémorable Conférence des étudiants. Ce fut le premier forum véritablement libre où nous avions osé formuler publiquement nos aspirations démocratiques, dénoncer les injustices du système et proposer des alternatives concrètes. Cette mobilisation estudiantine, par son audace et sa détermination, avait directement inspiré le concept même de la Conférence Nationale Souveraine. Nous avions prouvé que le dialogue était possible, que le débat contradictoire pouvait remplacer la pensée unique, et que l’intelligence collective pouvait tracer un chemin vers la liberté.
Trente-cinq ans après, notre pays est toujours mal coté dans le monde et nos populations côtoient le seuil de la pauvreté. Un terme leur fut prêté pour supporter les échecs successifs des gouvernances de prédation: on parle désormais de « peuple résilient » pour justifier l’impasse des politiques publiques. Et pourtant, nous sommes de ceux qui ont fait l’université; beaucoup d’entre nous ont accédé à des postes de responsabilité. Les plus brillants ont eu des carrières prestigieuses.
Mais force est de constater que la seule lutte qui a été menée est celle de l’enrichissement personnel. Chacun utilisant sa posture et ses talents pour accumuler des richesses dans un pays de plus en plus pauvre. Les idéaux de paix et les rêves de jeunesse n’ont pas résisté à la cupidité d’une génération prête à tout pour sortir du lot de la crise générale.
Cherchons-nous des excuses? Nous n’étions pas au courant des enjeux politiques, des institutions et des processus. Nous avions des croyances politiques simplistes ou idéalisées, sans tenir compte de la complexité des problèmes. Nous avions fait confiance à des leaders ou des partis politiques sans questionner leurs actions ou leurs motivations. Nous avions laissé les émotions guider nos réflexions politiques plutôt que la raison et l’analyse.
Au vu de ce qui précède, nous étions en un mot naïfs. Cependant, cette naïveté s’expliquait par notre jeunesse.
Cette naïveté était d’autant plus tragique que les moyens de notre émancipation collective étaient à notre portée.
La nature nous a offert des opportunités en nous révélant des niches de richesses immenses. Nous nous sommes engagés dans cette spirale de violence verbale pour nous doter des moyens de l’État. Ceux qui ne pouvaient pas s’insérer dans le système, sont partis à l’étranger. Ils ont coupé le pont avec le leadership national, se plaignant des gouvernants au point d’avoir créé une culture du « Congo Bashing ».
Aujourd’hui, en ce 24 avril 2025, nous assistons à un renversement cruel de l’histoire. Cette Amérique qui était jadis notre modèle démocratique semble régresser vers l’autocratie sous la présidence de Trump. Ses récents propos sur la RDC, qualifiant notre pays de « trou à rat » tout en convoitant ouvertement nos richesses minérales et nos terres rares, sont révélateurs de cette nouvelle arrogance impériale. « Le Congo a tout ce dont nous avons besoin, et nous allons le prendre, » a-t-il déclaré sans ambages, ravivant les fantômes du colonialisme que nous pensions avoir exorcisés.
Nous avons tous plus de cinquante ans aujourd’hui. Notre flamme s’est éteinte et il ne nous reste que de la nostalgie et de la mélancolie avec un arrière-goût d’inachevé. Le combat pour la survie a certes poussé la plupart d’entre nous à nous mettre apparemment à l’abri du besoin. Nos enfants ont eu la chance d’étudier, certains ici et d’autres en dehors. Nous pourrions être calmes et pourtant le malaise est là et il s’appelle la patrie.
Nous avons trahi la patrie en ne nous concentrant que sur notre propre intérêt.
En suivant le concert de solidarité à Paris avec Gims, Dadju, Fally Ipupa ou encore Soolking, nous avons compris la vengeance de l’histoire sur notre génération car des enfants nés parfois en Europe, n’ayant du Congo que l’image édulcorée de leurs parents aigris, se sont mobilisés pour dire non à ce qui arrive à leur pays, cet eldorado trahi par ses fils.
Nous sommes devant une nouvelle génération qui nous dit que le sort collectif doit passer avant le sort individuel. Ils se sont mobilisés pour défendre le drapeau, pour résister aux appétits voraces des puissances qui, comme l’Amérique de Trump ou la Chine de Xi Jiping, veulent s’approprier nos ressources.
Ils sont aujourd’hui cette nouvelle génération d’artistes, de joueurs qui acceptent de revenir pour appuyer l’équipe nationale juste avec cette conscience historique que nous, leurs parents, avons trahie. Face aux menaces extérieures et aux défis intérieurs, ils se dressent avec une fierté que nous avions perdue.
En ce 24 avril 2025, alors que le souvenir du maréchal s’estompe dans les limbes de l’oubli, une autre espérance nous habite, celle de voir nos enfants reprendre le flambeau de l’histoire du Congo avec courage, altruisme et patriotisme, défendant notre souveraineté contre tous ceux qui voudraient faire de notre nation un simple réservoir de ressources à piller.
Comme nous le rappelle si justement le Pape François : «Ayez le courage de remplacer les peurs par des rêves. Ne soyez pas des admirateurs de peurs, mais des entrepreneurs de rêves !» C’est peut-être là le dernier enseignement que nous pouvons transmettre à cette génération montante : que nos échecs ne deviennent pas leurs limites, que nos peurs ne contaminent pas leurs aspirations, mais qu’ils osent rêver plus grand, plus loin, plus fort que nous ne l’avons fait.
Christian Kyony et William Albert Kalengay
