A deux mois du lancement de la campagne électorale en Novembre 2018, les candidats présidents de la République, ont défilé à la CENI pour y déposer leurs dossiers de candidature. L’administration électorale nationale a initialement enregistré 25 candidats. Ensuite, elle a élagué les non-éligibles. Les opérations se sont déroulées avec une remarquable efficience de la CENI, assortie de courtoisie impartiale pour tous les candidats. Chacun d’eux a l’ambition de conduire ce vaste pays, porteur du potentiel de propulsion du développement de l’Afrique, vers sa destinée historique. Mais, sont-ils réellement, chacun en ce qui le concerne, conscients des impératifs politiques et logistiques d’une victoire électorale dans une société segmentée, un pays aussi immense que la RDC ? Réalisent-ils véritablement leurs niveaux de productivité électorale ? Dans cette cogitation, il est question de tenter de proposer une conceptualisation politologique des candidats présidents de la RDC. La démarche explore d’abord l’épineuse problématique de l’électoralisme egocentrique et artisanal comme une caractéristique du sous-développement politique. Ensuite, l’exploration épinglera les paramètres déterminants de la compétition électorale et proposera une typologie des candidats en esquissant leurs niveaux de productivité électorale. La conclusion souligne l’urgence d’une révolution de notre culture et de notre praxis électorale pour la libérer de l’électoralisme artisanal. Elle propose une révolution vers l’électoralisme développemental, porteur de la sève de la réinvention du Congo.

1. LA PROBLEMATIQUE DE L’ELECTORALISME EGOCENTRIQUE ET ARTISANAL EN RD CONGO

La réflexion profonde sur notre pratique électorale depuis 1960, indique une immersion dans un électoralisme egocentrique et artisanal. Cette situation s’explique essentiellement par le fait que l’homo politicus Congolais est encore plus impulsé par son ego que par une cognition cartésienne du bien collectif – qui est le bien suprême comme prescrit Aristote dans Ethique à Nicomaque. Ainsi chacun ignore les autres et la nécessité de la synergie, et se proclame candidat président messianique. C’est pourquoi, l’opposition, en particulier, ne réussit jamais à se souder pour présenter un candidat commun face à la majorité. Celle-ci est restée depuis 2006 dans une logique de large alliance. Cet égocentrisme politique frise même un nombrilisme absurde lorsque certains intellectuels censés réaliser qu’ils ne peuvent pas engranger même 0,1 % des votes, affichent toujours l’opiniâtreté incompréhensible d’être candidats, amenuisant ainsi les chances de l’alternance de régime. Par ailleurs, dans les partis politiques, le sens de l’organisation politique efficiente, la planification proactive, la formation pour les élections, la connaissance systématique du terrain, sont toujours presque au rabais. De 2006, 2011, à 2018, les politiciens se distinguent toujours par des tintamarres pour les élections. Mais très peu s’y préparent professionnellement. La notion de leadership électoral et le recours à la technologie sont des denrées rarissimes dans les partis politiques de la RDC.
Mais, ce qui est encore plus régressif c’est la finalité de l’électoralisme egocentrique et artisanal. Dans cette situation, les élections sont comprises dans les partis (et dans un important segment de la société), comme un simple mécanisme d’accès au pouvoir afin de jouir des prébendes et de la gloire y attachés. Les élections ne servent pas la finalité de la sélection des animateurs institutionnels propices au développement. Dans une perspective marxiste, il s’agit en fait d’une sous-éclosion superstructurelle qui est le reflet du sous-développement économique. Ainsi, le peuple maintenu dans une situation où il porte la fausse conscience, continue à voter non pas par la raison libératrice (productrice de la vraie alternance par les porteurs d’innovation), mais par allégeance primaire d’ordre tribal et clientéliste. Il en découle la perpétuation de la monopolisation de l’Etat par des élites dysfonctionnelles, vassales de la bourgeoisie kléptocratique. Les élections deviennent ainsi un simple stratagème de l’hégémonie politique dans un «autoritarisme light» dans lequel le peuple demeure subjugué : une dictablanca.

2. LES PARAMETRES DETERMINANTS DE LA COMPETITION PRESIDENTIELLE ET LA TYPOLOGIE DES CANDIDATS

Morton Blackwell, président et fondateur du Leadership Institute d’Arlington dans l’Etat de Virginie (La plus ancienne école de formation politique des Républicains où l’auteur a été formé) a noté qu’il ne suffit pas d’avoir les meilleures idées pour remporter une élection. Il faut en plus des idées avoir une organisation politique large et efficace sur le terrain et les ressources nécessaires.

Dans la pratique politique moderne, quatre paramètres déterminent la victoire électorale. Le paramètre premier de la compétition politique c’est la vision/idéologie politique. Celle-ci est formulée en élargissement par sa conversion conceptuelle en programme porteur de l’hypothèse de transformation sociétale, des objectifs SMART, des actions/projets, et surtout des stratégies de production des richesses nouvelles. Il y est aussi ajouté la modalité du contrôle de la mise en œuvre et de l’évaluation. Cet arsenal programmatique n’est pas fantasmagorique : il est composé selon les normes gouvernologique (Voire mon ouvrage intitulé La Gestion Politique du Programme de Gouvernement. USALGA, Kinshasa 2016). Il ne suffit pas d’avoir un assemblage de bonnes idées coulées dans un Français savamment achalandé, assorti d’une projection des chiffres astronomiques, pour avoir un programme électoral capable d’être converti ensuite en programme de gouvernement susceptible de développer un pays.

Le deuxième paramètre, qui est prédéterminant, est la possession d’une large organisation politique avec un réseau ou des embranchements couvrant toute la circonscription électorale (tout le territoire pour l’élection présidentielle). Une large organisation traduit le professionnalisme en politique. En plus, il démontre un enracinement sociopolitique porteur de la capacité de diffuser les idées, de mobiliser les électeurs et les témoins. Le troisième paramètre ce sont les ressources humaines dont est dotée l’organisation politique. On ne peut pas remporter l’élection sans militants, sans cadres, sans animateurs des comités de campagne. C’est simplement chimérique. Les femmes, les hommes, les jeunes mobilisés assurent une large et efficiente opérationnalisation de la campagne électorale. Cela permet de dépenser moins, car le candidat aura des relais dans les coins les plus éloignés du territoire, surtout dans un pays immense comme la RDC – où il est impossible pour les candidats de parcourir tous les 140 territoires de Zongo à Kipushi, de Bansankusu à Drodro.

Le quatrième paramètre c’est l’argent sur base d’un budget rationnel. Il est indispensable et détermine les autres facteurs. Il permet d’assurer le fonctionnement de l’organisation (loyer, communication, administration) de motiver les ressources humaines, d’acquérir le matériel de la campagne électorale, de disponibiliser la logistique (avions, bateaux, pirogues, motos, bicyclettes, ordinateurs) et surtout d’assurer la communication.  Le cinquième facteur c’est le génie politique en termes de stratégie et de tactique politico-électorale. Cela est fonction de la connaissance du terrain, de la population et ses mentalités/cultures, de la géographie et démographie électorale. Un candidat peut avoir une large organisation, des membres et beaucoup d’argent, mais si sa connaissance du terrain, des électeurs, de la compétition, est déficiente, la stratégie voire la tactique seront inévitablement aléatoires. Les résultats vont en partir. Une autre dimension à y jouter est celle des réseaux sociopolitiques. En Afrique, et en RDC, en particulier, il faut avoir tissé d’excellentes relations avec les journalistes, les patrons des organes des medias, les personnalités à haute rentabilité électorale (chefs coutumiers, pasteurs, prêtres, Imams, présidents des ONG, artistes). Un réseau informel dans l’administration territoriale voire dans l’appareillage sécuritaire est aussi important.

3. TYPOLOGIE ET PROJECTION DE LA PRODUCTIVITE ELECTORALE DES CANDIDATS PRESIDENTS DE LA REPUBLIQUE

A la lumière de ces quatre facteurs déterminant la victoire électorale éclairés ci-dessus, dans l’optique politologique on peut esquisser la typologique suivante des 25 candidats présidents. Il s’agit des candidats idéalistes, transactionnels et présidentiables.
Les candidats idéalistes déploient des critiques acerbes contre les gouvernants et proposent des programmes électoraux fascinants assortis des chiffres astronomiques. Ils sont convaincus qu’ils ont la mission messianique de sauver le Congo. Mais, ils souffrent d’indigence épistémique criarde (dont ils sont inconscients) en praxéologie politique, en organisation politique et en ressources humaines politiques. Ceux qui proviennent de la Diaspora en particulier sont convaincus que seule leur effervescence intellectuelle combinée avec leurs backgrounds professionnels au plan international, sur fond de leurs fabuleux programmes politiques, leur feront remporter les élections. Ils sous-estiment la politique dans sa complexité et sa viscosité électorale. Eblouis par les applaudissements frénétiques dans quelques auditoires dans les capitales étrangères et à Kinshasa, ils ignorent que les acclamations ne se convertissent pas en votes sur terrain. Néophytes politiques, ils sont en déficit gnoséologique de la complexité phénoménologique de la politique. Ils n’ont aucune idée de la guerre sans merci de la campagne électorale, souvent avec une violence inouïe, sur terrain dans les milieux ruraux. Dotés d’une connaissance parcellaire de la RDC, ils manquent cruellement de pénétration sociopolitique à la périphérie de la capitale et dans les provinces. Leur productivité électorale est de moins de 0,1 % des votes chacun. Dans leur totalité, ils pourraient engranger moins de 5% de l’ensemble de votes.
Les candidats transactionnels sont ceux dont les candidatures ont pour finalité ultime la négociation des postes dans le prochain gouvernement, en échange de soutien à ceux qui ont tangiblement plus de probabilité de gagner. Ils ont aussi des idées cohérentes, pour la plupart. Les transactionnels sont des politiciens chevronnés souvent maitres des manœuvres et autres fourberies politiciennes. Ils sont des operateurs des partis politiques et autorités morales des regroupements politiques (dont certains sont montés de toutes pièces). Dans la compétition électorale actuelle, beaucoup d’entre eux proviennent de la majorité. Malgré leur notoriété et leur effervescence populiste dans les medias à Kinshasa, voire une certaine capacité de mobilisation dans quelques coins provinciaux, ils sont dépourvus d’organisation électorale et des réseaux politiques sur tout le territoire. Très peu d’entre eux ont des fonds suffisants pour battre une campagne efficace sur toute l’étendue de la RDC. Leur productivité électorale individuelle sera de moins de 3% des votes. Mais, dans l’ensemble ils pourraient en cumulé atteindre autour de 10 % de la totalité de votes.
Les candidats présidentiables portent la plus grande probabilité d’être élu président de la République par les impératifs politologiques contextuels (conformité aux paramètres stratégico-opérationnels ci-haut). Ils sont les leaders des partis politiques immensément implantés et de larges coalitions d’envergure nationale. Ayant déjà gouverné, ils ont composé des programmes électoraux plus réalistes en conformité avec les normes techniques et stratégiques des institutions financières internationales. Ils sont aux commandes de véritables armadas électorales. Certains d’entre eux ont accumulé des fonds colossaux et ont déjà acquis la logistique. Ils ont aussi une expérience avérée sur terrain – dont sont totalement dépourvus les idéalistes. En plus, ils bénéficient d’un complexe réseau des personnalités sociales à haute rentabilité électorale. Certains maitrisent l’administration territoriale et l’appareillage sécuritaire. En ultime instance, Il y a deux candidats présidentiables (Shadari Ramazani, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe). Ils pourraient éventuellement envisager des alliances. Le deuxième et le troisième mieux élu vont cumuler autour de 20 % des votes. Le candidat qui va l’emporter engrangera entre 55 et 65 % des votes à ce seul tour de l’élection présidentielle.

CONCLUSION : VERS L’ELECTORALISME DEVELOPPEMENTAL EN RDC

En ultime instance, il convient donc de souligner d’un trait épais la philosophie reinventioniste des élections qui est proposée par le CRIDD (Centre Républicain Ishango pour le Développement et la Démocratie). Cette philosophie a été articulée dans la première session démopédique du CRIDD du 14 Juillet 2018. En effet, il a été relevé que le personnel politique choisi par le peuple constitue la force la plus déterminante de la mutation qualitative des Etats. Cette vérité scientifique a été démontrée avec sagacité par les Professeurs James Robinson et Acemoglu dans leur célèbre ouvrage bestseller «Why Nations Fail» (Pourquoi les Nations Echouent). Sous cette lumière, la vérité apodictique est : la RDC est fondamentalement le reflet de la qualité des femmes et des hommes animant les institutions de la République, c’est-à-dire son personnel politique. Ainsi donc, réinventer la RD Congo passe inéluctablement par le choix d’un meilleur personnel politique à travers des élections professionnelles à visées développementales.

Hubert Kabasu Babu Katulondi, Libre-penseur, Ecrivain,
USALGA/CRIDD)

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