Depuis les élections présidentielles de décembre 2018 en République Démocratique du Congo, le peuple congolais exprime le besoin d’un changement de politique économico-sociale visant l’amélioration des conditions de vies des congolais, d’instaurer la paix et le développement du pays. Cette volonté est traduite par le slogan « le peuple d’abord » adressé fréquemment au nouveau Président de la République démocratique du Congo, son Excellence Monsieur Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo.

Cependant, il nous semble encore évident que beaucoup d’analystes politiques et économiques n’arrivent pas encore à ce jour à proposer de manière convaincante des options stratégiques pour la réussite de ce programme gouvernemental « le peuple d’abord ».

La question fondamentale est celle de savoir que doit faire le gouvernement de la République Démocratique du Congo pour favoriser un développement économique et sociale capable de répondre aux exigences de la population à travers le slogan « le peuple d’abord » ?

En d’autres termes, si les facteurs clé de causalité permettant de garantir la prospérité de la nation ne sont pas assurés, il deviendra évident qu’en mettant en place des programmes de financement des infrastructures sur les mêmes bases qu’en 2006 et en 2011, ces derniers peuvent conduire à une grande déception sociale. Comment éviter d’aboutir à un tel résultat ?
Regardons les politiques gouvernementales précédentes à travers les programmes « cinq Chantier » de 2006 à 2011 ou encore « la révolution de la modernité ». Ces programmes ne sont parvenus à améliorer de manière significative les conditions sociales de la population. Pourquoi un tel résultat ?

Notre réflexion part d’une hypothèse selon laquelle tout investissement ne conduit pas à la création d’emploi ou à l’amélioration des conditions de vie de la population. Il existe ainsi trois types d’investissement qui ont des effets différents sur la création de la prospérité économique d’un pays.

D’abord, il existe des investissements qui permettent d’améliorer l’existant sans nécessairement changer sa nature. C’est par exemple investir à refaire la route qui est abîmée. Un tel investissement ne crée pas d’emploi significatif car il n’apporte pas de solutions importantes pour les personnes qui au départ n’ont pas accès à la route. Il aide au contraire les utilisateurs actuels de la route d’améliorer leurs conditions. L’impact social d’un tel investissement est donc très limité.

Ensuite, il existe une deuxième catégorie d’investissement. Il s’agit des investissements qui permettent d’améliorer la qualité des produits existants en les rendant sophistiqué ou de meilleure qualité. A titre d’exemple, construire un aéroport ultra-moderne ou encore construire un hôpital ultra-moderne comme l’hôpital du cinquantenaire. Un tel investissement (cas de l’hôpital ultra moderne) n’apporte pas nécessairement de solutions pour les personnes qui au départ n’ont pas accès aux soins de santé. Car la construction d’un hôpital ultra-moderne suppose l’utilisation d’un plateau technique moderne conduisant ainsi à un coût d’accès élevé pour un patient. Ce dernier ne sera pas accessible pour les personnes démunies.

Enfin, il existe une troisième catégorie d’investissement. Il s’agit des investissements qui permettent aux personnes qui n’ont pas accès à un produit d’en avoir accès. Ces investissements permettent de créer un changement social important au niveau de la société.

Cette théorie basée sur l’approche des innovations de rupture, illustrée par Clayton Christensen, Efosa Ojomo et Karen Dillon, dans leur livre paru le 15 janvier 2019 intitulé «  le paradoxe de la prospérité ». Ces auteurs constatent que vers des années 1850, les Etats Unis d’Amériques avaient 70% de sa population qui vivaient en milieu rural,52% des revenus des ménages américains étaient dépensés pour satisfaire les besoins de la nourriture, seulement 10% de la population avaient accès à l’école secondaire et l’espérance de vie était à l’époque de 45 ans. Comment les Etats-Unis sont-ils arrivés à se développer ?

Revenons sur le cas de la RD Congo. En analysant les programmes précédant sur « les cinq chantiers » et « la révolution de la modernité », nous constatons qu’ils ont été bien élaborés sur base d’un diagnostic cohérent. Cependant le choix stratégiques adoptés dans la réalisation de ces programmes ont été mauvais. Ils s’inspiraient des théories classiques de l’économie qui proposent de bonnes réponses aux problèmes différents de la théorie classique. Comment pouvons-nous aujourd’hui intégrer le fait que plus de 80 % de la population vit dans l’économie informelle ?
Les cinq chantiers et la révolution de la modernité ont été basés sur l’idée selon laquelle il faut moderniser les infrastructures pour résoudre les problèmes importants de la population. A notre avis, il s’agit d’une mauvaise approche.

A titre d’exemple, l’hôpital du cinquantenaire qui a couté environ 100 millions de dollars américains avec un plateau technique le plus élevé de l’Afrique centrale. Cependant, cette sophistication de l’offre des services de santé à travers un seul hôpital, a conduit vers des services à des couts élevés ne permettant pas à un congolais de la basse classe à s’offrir des soins adéquats. Certains medias en ligne  se posent même la question de savoir si l’hôpital du cinquantenaire ne serait-il pas un éléphant blanc ? En réalité l’impact de l’hôpital du cinquantenaire sur l’amélioration des conditions sanitaires de la population congolaise est très limité. Dix ans après la mise en œuvre de cet investissement, le problème d’accès à la santé n’a pas été totalement résolu. Certains congolais meurent à la simple malaria fautes des d’accès aux soins de santé adéquat. Ainsi le choix stratégiques d’un investissement la sophistication des soins de santé n’a été bénéfique que pour les personnes qui disposent des revenus élevés. A notre sens, Il s’agit d’une erreur de choix stratégique à ne pas répéter. La vraie question est celle de savoir comment avec des moyens limités le gouvernement peut faire plus ? En d’autres termes, « do more with less » ?

Un deuxième exemple pour illustrer l’échec des programmes précédents, est la solution apporté à la question de la sécurité alimentaire .En effet, la RDC reste dépendante de la nourriture importée, de la surenchère des prix importes, la défiance nutritionnelle. Au même moment, la RDC dispose de 80 millions hectares de terre arables.
L’erreur stratégique qui a été faite dans le programme de la révolution de la modernité a été d’investir 150 millions de dollars américains pour construire un parc agro industriel ultra-moderne de BOKANGA LONZO. Ce parc était défini comme étant à la pointe de la technologie. Malheureusement, trois ans après son lancement tous les indicateurs sont au rouge. Le parc n’a pas permis aux congolais au bas de l’échelle de manger de manière convenable malgré le investissements importants mis dans le projet.

Au regard du passé, la question à laquelle le gouvernement actuel doit répondre est la suivante : quels sont les choix prioritaires stratégiques, à faire dans la mise en place d’une politique économico-sociale répondant à l’aspiration du peuple exprimé par le slogan « Le peuple d’abord »
Quelques propositions majeures dans le choix des orientations stratégiques de la politique économico-sociale du gouvernement doivent être considérées.
Il serait erroné de penser que l’Etat peut résoudre tous les problèmes. En d’autres termes, une approche qui consisterait à investir dans les projets sophistiqués et centralisées dans laquelle l’Etat doit résoudre tous les problèmes de la population serait vouée à l’échec. Après quelques années, l’engouement lié au changement du régime politique se tournera en déception. Car l’approche centralisée de l’Etat qui répond à tout problème n’est pas adéquate. Au contraire la RDC doit opter pour une approche d’investissement basée sur les innovations de rupture. Ces derniers permettront à la population d’entreprendre, de créer la valeur locale et des emplois qui vont soutenir la prospérité de la nation.
Illustrons, à titre d’exemple cette approche : comment l’Etat peut améliorer l’accès aux soins de santé par l’approche des innovations de rupture et favoriser le développement ?
Sans nécessairement dépenser des millions d’argent en investissement pour une infrastructure centralisée et localisée que dans quelques provinces, l’Etat peut d’abord capitaliser les ressources financières internes éparpillées du secteur informel en innovant sur son business model sur deux axes. D’abord permettre aux personnes œuvrant dans le secteur l’informel d’être encadrées, formalisées et d’avoir accès à système de financement de leurs activités. Ainsi cette formalisation du secteur informel devra se faire à travers une ou plusieurs structure(s) privée(s) chargée de regrouper les personnes œuvrant dans l’informel en corporation. Celle-ci sera légalement responsable vis-à-vis de ses membres. L’Etat pourra ainsi mieux suivre les activités du secteur informel. Ensuite, les membres du secteur informel au sein des corporations devront avoir la possibilité d’être affiliés à une banque ou une institution financière pour favoriser l’épargne mais aussi bénéficier des avantages pour un financement bancaire après une certaine période de cotisation dans la corporation. Enfin, une telle initiative peut aussi aider à donner accès à une mutuelle de santé découlant d’un partenariat public privé permettant de canaliser un certain nombre des ressources permanentes vers certains hôpitaux afin d’améliorer l’accès aux soins de santé à travers toute la république.

Un programme gouvernemental devrait donc être basé sur une telle approche qui permet la capitalisation des ressources internes, la création de l’emploi et la croissance économique. Une telle approche permettrait de résoudre l’équation économique « le peuple d’abord » en évitant une approche traditionnelle basée sur la recherche d’un financement conduisant parfois à un endettement néfaste à long terme pour les générations futures.

A notre avis, nous considérons que tout problème est une opportunité d’affaire. La résolution des problèmes des congolais doit favoriser la création des initiatives créatrices de la valeur et d’emploi au niveau locales.

La priorité du gouvernement n’est pas de mettre en place des projets et services sophistiqués mais non accessible à la population démunie. Il ne s’agit pas non plus de transformer l’Etat en une mère nourricière qui doit résoudre tous les problèmes de la population. Au contraire, les options stratégiques à adopter consisteront à faire participer le congolais à la résolution de ses problèmes à travers les initiatives entrepreneuriales. La priorité est d’envisager des solutions simples et accessibles aux problèmes de la grande partie de la population. La participation de la population à la résolution de ses problèmes, à travers des partenariats public privés y compris la mobilisation de l’épargne interne deviennent des options stratégiques incontournables. La rupture (ou les innovations de rupture) est une option incontournable pour la réussite du programme « le peuple d’abord » !

Prof.Patrick Bakengela Shamba,

Analyste économique et Responsable de la chaire de recherche sur l’innovation,

la stratégie et la gestion à l’Université Protestante au Congo (UPC)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *