Christian Kyoni : « la RD Congo doit urgemment quitter la vie des amulettes pour accéder à la puissance de l’action, seul moyen de transformation radicale »
a dernière fois que j’ai vu Christian Kyoni remonte à plus de trois décennies alors que nous étions tous étudiants. Membre du groupe de l’unité, nous nous voulions un think thank capable dans la confusion générale, de poser les jalons du changement irréversible né de la pérestroïka et du discours de la Baule. Nous étions jeunes et sans doute idéalistes. Des années sont passées et les aléas de l’existence nous ont dispersés aux quatre coins du monde. Lui, ingénieur civil, a progressé vers d’autres conquêtes scientifiques et aujourd’hui il est parmi les meilleurs spécialistes en cyber sécurité de la nation Arc-en-ciel. C’est donc un esprit qui côtoie les étoiles et dont la perception du monde est largement au-dessus de la moyenne. Nos retrouvailles furent émouvantes, mais vite la situation de notre pays nous a tenu aux tripes et moi en tant que journaliste j’avais flairé un scoop, une forme d’expression originale qui nous permettrait de pousser les limites du possible dans lesquelles nous sommes enfermés, tant d’impasses se lèvent devant notre destin collectif comme nation. J’ai donc décidé de transformer notre rencontre-interview en débat sur le fondement de nos impasses historiques. Quel serait le regard de celui qui est resté loin du terrain, mais qui a gardé un regard panoramique de tout le champ ? Et là il me sort ces phrases d’ingénieur à multiples interprétations, mais à compréhension transversale. Il compare notre posture comme quelqu un qui est à la fenêtre et qui espère se voir passer dans la rue. Je vous convie à lire cette conversation et à vous faire une idée de ce congolais dont l’intelligence raffinée et en même temps effrayante car les univers qu’il visite sont immenses.
William Kalengay: Qu’est-ce qui au Congo empêche le changement radical ?
Christian Kyoni :
Je vous répond directement que c’est une culture dominée par le fétichisme. Le fétichisme au sens premier du terme. C’est-à-dire, un objet peut attirer une certaine récompense protégée. Même ceux qui, par exemple, ceux qui vont à l’église pour y prier, utilisent la Bible comme un fétiche. Les partis et regroupements politiques utilisent leurs programmes comme un fétiche en pensant que les fétiches les absolvent de l’obligation de faire, d’agir et de planifier. C’est ça le problème. Vous pouvez avoir dans le nom du pays le mot »Démocratique », c’est un fétiche. Cette aspiration doit se traduire maintenant en action. C’est ça le problème. Nous sommes dans un pays où 90% de personnes se prétendent chrétiennes mais nous vivons dans des villes sales. C’est la grosse tristesse. C’est une sociologie liée à des amulettes, l’amulette du diplôme. Tel dit : « je suis docteur en droit », c’est une amulette. Ce n’est pas une réponse spécifique aux problèmes de notre pays. Je suis ingénieur mais le pays est attaqué par d’autres puissances. Qu’est-ce que, en tant qu’ingénieur je peux apporter comme solution ? Pas mon diplôme. On ne va pas être impressionné par mon diplôme, mais par ce que j’en fais (Rires). Et toutes les autres nations du monde se sont battues quand elles ont transformé leurs amulettes en réalités. Pour ne pas étendre cette question je peux évoquer l’exemple des chinois qui dernièrement ont démontré à la face du monde qu’ils sont les maîtres de l’Intelligence Artificielle (IA), ils ont transformé le slogan d’ici 2030 en une action véritable. Ils vont être la première nation à poser un satellite sur la face cachée de la lune. Et c’est là le problème du Congo, nous nous arrêtons aux fétiches, aux amulettes, aux slogans.
William Kalengay : Comment faire pour passer de l’amulette à l’action concrète ?
Christian Kyoni
: Il y a deux choses qu’il faut cesser de faire comme intellectuels, malheureusement Congolais, je le fais chaque jour. Il faut cesser de se plaindre, il faut cesser d’expliquer pourquoi nous ne ferions pas ça, pourquoi les grandes puissances ont fait ceci, il faut qu’on passe à l’action petite certes mais réelle. C’est une réflexion collective qu’il faut que l’on fasse par des choses vraiment simples. Une femme qui est enceinte doit pouvoir donner naissance à son enfant. Il faut que l’enfant qui nait puisse dépasser l’âge de cinq ans, puisse aller à l’école, puise travailler, construire sa propre entreprise sans qu’on lui cherche des poux. S’il faut qu’il meurt, il faut qu’il meurt dans des conditions décentes.

Ce sont des choses simples.
Etant nés avec le slogan de la grandeur, nous avons oublié que celle-ci est constituée des petites choses essentielles. En partant du cycle de la vie, nous tiendrons les promesses de protéger celle de nos compatriotes en unissant par des actions les différents points qui fondent la stabilité des nations. L’action est d’essence simple, elle commence par ce que l’on maitrise jusqu’aux questions complexes. L’amulette vous invite à des croyances magiques, mais ne change pas la réalité au quotidien. En partant de l’action ordinaire régulière on arriverait à dénouer des obstacles en théorie infranchissables, mais qui ne peuvent résister à l’action pensée et planifiée.
William Kalengay:
Vous travaillez dans la cyber sécurité et de votre point de vue, quels sont les grands pas, par lesquels le Congo doit passer pour pouvoir rattraper son retard sur cette question et peut-être consolider sa défense ?
Christian Kyoni: Un État se bâtit sur différents niveaux des réalisations tout comme les individus. Le premier état est alimentaire, il s’articule autour du besoin primaire par exemple, est-ce que je peux manger et où est-ce que je peux vouloir dormir ?
Ensuite quand la première étape a été franchie on passe à la deuxième étape qui fait référence au niveau de conscience. L’homme recueille en lui un ressenti de ce qu il vit et se positionne par rapport au monde et à l’environnement spécifique dans lequel il évolue. C’est une dimension à laquelle plusieurs n’accèdent pas car coincés par la recherche de la pitance. Et enfin le dernier niveau que certains individus ou destinations ont atteint.
Je peux me permettre de citer un homme comme Nelson Mandela. Pour lui la seule destination c’est de réaliser le rôle pour lequel Dieu vous a placé uniquement sur la terre. pourquoi je suis là ? Ce n’est pas lié à votre argent, ce n’est pas nécessairement lié à votre statut social. Qu’est-ce vous feriez si vous étiez multimilliardaire ? C’est ça votre essence. Pour le Congo, j’en parlais un jour à une amie, il y a une essence de la nation Congolaise qui fait que lorsque notre équipe nationale joue, il n’y a pas des Kabilistes, des Tshisekedistes, tout le monde est derrière les Léopards, notre onze national.
C’est l’essence de la nation Congolaise et la cyber sécurité est l’une des façons de réaliser un des deux objectifs de la politique. La sécurité extérieure et intérieure. Aujourd’hui, notre vie est digitale et il faut sécuriser cette vie digitale. Notre pays doit, comme en Chine ou aux États-Unis d’Amérique, mettre à la disposition des chercheurs des moyens pour qu’ils puissent réfléchir à cette problématique.
Grâce à des spécialistes dispersés dans le monde la RD Congo a la possibilité de construire rapidement sa marche vers la maîtrise du numérique et de créer des systèmes de protection efficaces face aux attaques des adversaires qui usent de tous les moyens pour contrôler nos pensées et surtout grâce aux données gérer nos flux émotionnels qui traduisent nos tendances principales.
Dans tous les domaines comme dans celui du digitale quittons les amulettes et fonçons vers l’action, vers la réalisation de nos projets et cessons d’avoir satisfaction des actions symboliques mais travaillons pour changer profondément la réalité.
Propos recueillis par WAK
