Trois jours après que les conclusions d’un rapport des experts des Nations Unies sur le soutien du Rwanda au M 23, destiné au Conseil de Sécurité ait fuité, Kinshasa et Kigali s’engagent dans une bataille sur le front diplomatique. Chaque capitale essaie de plaider sa cause. Pour la RDC, le fait que les experts des Nations Unies aient désigné avec preuves, chiffres et dates, à l’appui, le Rwanda comme ayant soutenu les rebelles et ayant envahi le territoire congolais, c’est « une victoire diplomatique « .
« Maintenant que ce rapport est sorti, les pays membres du Conseil de sécurité et les autres pays vont en tirer les conséquences. Nous pensons que nous venons de remporter une victoire diplomatique, parce que nous le disions depuis plusieurs mois, et beaucoup de gens faisaient la sourde oreille », avait déclaré Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais. Son collègue des affaires étrangères, le vice-premier ministre, Christophe Lutundula a renchéri : « Ce qui reste à faire maintenant est que le Conseil de sécurité examine le rapport et en tire toutes les conséquences en terme de sanction, en terme d’accompagnement actif de la RDC pour éradiquer le cancer des groupes armés ». Le vice-premier ministre dit aussi que l’Union Africaine, la Communauté des États d’Afrique de l’Est et la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs doivent tirer aussi les conséquences du rapport des experts des Nations Unies.
Les autorités congolaises qui ont enclenché déjà depuis quelques mois une bataille diplomatique, se retrouvent confortées dans leurs accusations et le Rwanda, pris la main dans le sac, se voit obligé de faire aussi un effort diplomatique pour vendre sa cause, se cramponnant tantôt à la question des FDLR, tantôt à la gestion des communautés Rwandophones de la RDC et accusant la RDC de saborder le processus politique de Nairobi.
Dans leur rapport, les experts soutiennent avoir des « preuves solides » du soutien Rwandais aux rebelles du M 23. Selon les experts de l’ONU, « l’armée rwandaise a lancé des interventions militaires contre des groupes armés congolais et des positions des forces armées congolaises depuis novembre 2021 ». Le rapport précise que les experts ont recueilli des images de drones, des vidéos et photos amateurs, ainsi que des témoignages. Les experts de l’ONU, qui ont mené des « inspections sur place » et analysé les « images disponibles », affirment que « le 24 mai, un grand nombre de troupes de la Force de défense du Rwanda sont entrées en RDC » et « ont attaqué et délogé les FARDC de leurs positions ».
Les experts citent plus de 10 témoins oculaires qu’ils ont interrogés. Selon ces témoins, environ 1000 soldats rwandais ont participé à des attaques conjointes avec le M23 contre des camps des FARDC sur la colline près de Kibumba (Nord-Kivu Est de la RDC), entraînant la mort de 20 soldats congolais. Des faits suffisamment graves. Lorsqu’elles sont confrontées à ces éléments factuels, les autorités rwandaises trouvent une esquive facile : « le gouvernement rwandais ne peut pas commenter un rapport non publié et non validé », a écrit Yolande Makolo, porte-parole du gouvernement de Kigali. « Ce rapport avait pour objectif d’incriminer le Rwanda », ajoute Vincent Biruta, ministre Rwandais des affaires étrangères, qui ressasse la question FDLR avec « leur idéologie génocidaire », dit-il, avant d’accuser les FARDC d’avoir « bombardé le territoire Rwandais ».
Au niveau du front diplomatique, rien n’est donc négligé et la RDC pousse fort pour que l’agression dénoncée par le rapport d’experts, le soit également au niveau des organisations régionales et au niveau du continent. Et pour Christophe Lutundula, il faut désormais des sanctions. « S’il n’y pas de sanctions, on crée un précédent fâcheux et la tentation sera toujours forte pour suivre ce mauvais exemple », a dit le Vice-premier ministre, ministre des affaires étrangères. Il y a donc un comportement qui est attendu de la part des organisations régionales et internationales et même pour les pays, surtout ceux de la région.
« Il n’y a pas de neutralité dans ce type de domaine », a asséné Lutundula. « Un comportement soi-disant de neutralité n’est pas admissible », a-t-il encore. Il a clairement fait allusion à l’Ouganda, pays allié militairement à la RDC dans la traque des terroristes d’ADF, mais dont la position dans le conflit RDC-Rwanda est qualifiée d’ambigue, selon certains analystes.
Patrick Ilunga
Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com