Femme leader, intellectuelle, ménagère, militante, promotrice de droits de la femme, Elodie Ntamuzinda est en réalité, la sommation de toutes les catégories caractérisant la femme africaine, occidentale, moyenne orientale, bref, elle incarne en soit, une histoire féminine. Mais comment cette autodidacte, native de collines du Sud-Kivu est parvenue à déjouer des pronostics en gravissant les échelons pour accéder à la première marche du podium ? « Le travail », répond cette mère de famille de 43 ans aux, allures plutôt timides.
Elodie Ntamuzinda, le sens d’une lutte
Réservée, méticuleuse, humble, autant de commentaires autour de la chargée des femmes au sein de la plénière de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) qui n’a jamais eu de privilège à parler d’elle.
« Moi je n’aime pas parler de moi. Je préfère parler de l’ensemble parce que rien de ce que j’ai fais n’a été possible sans l’accompagnement des autres.» A première vue, cela ressemble à une simple déclaration et pourtant c’est une ligne de conduite devenue, au file du temps, une doctrine pour « Maman Elodie », comme aiment l’appeler ses proches.
Icone, depuis plus d’une vingtaine d’années, de la lutte pour le respect de droits des femmes à travers ses différentes structures, Elodie Ntamuzinda estime qu’aujourd’hui, il y a lieu de faire une évaluation des actions menées pour redéfinir des nouvelles politiques en la matière afin de créer des conditions pour l’émergence d’une société plus juste. « La lutte pour le respect de droits de la femme ne peut pas être perçue comme étant un simple slogan, mais plutôt un engagement des différentes parties à changer les choses », déclare-t-elle sur un ton à la fois doux et ferme. « Cette évaluation, à mon avis ne sera qu’une étape parce qu’elle nous permettra juste de poser un diagnostic. Nous devrons, après celle-ci, tirer des leçons pour être à mesure de dire que ce que nous vivons aujourd’hui n’a pas de causes lointaines (endogènes ou exogènes) », estime-t-elle. Cette table ronde permettra d’identifier les rôles de chaque partie prenante dans cette lutte.
Issue elle-même d’une zone de l’Est qualifiée d’instable en raison de l’activisme des groupes armés et d’autodéfenses, Elodie Ntamuzinda a le sentiment que les progrès réalisés dans la lutte pour respect de droits de la femme ne sont pas à la hauteur du combat qu’elle a hérité, mené et puis poursuivi par les activistes sur le terrain.
Pièce maitresse de la CENI en matière de participation politique de la femme, Elodie Ntamuzinda W’igulu estime que le combat de la femme ne peut pas se résumer en la comptabilité des échecs et réussites de celle-ci mais plutôt à sa vraie participation dans le développement du pays. « Je n’épargne personne. Le Gouvernement, la société civile, les partenaires, les structures familiales, tous devront être impliqués dans cette lutte », pense-t-elle.
La femme qui ne voulait pas être présidente !
« Je n’ai pas commencé la lutte étant présidente de la société civile du Sud-Kivu. J’ai commencé le travail dans les mouvements associatifs trop jeune. En prenant la décision de me marier, j’ai dû arrêter avec ce travail pour m’occuper de mon ménage. Après cette expérience de mère et de femme de ménage, j’ai décidé de reprendre la lutte et mes études en 2002 », voilà comment elle résume ses débuts dans son Kivu natal avant de nous relater sa longue expérience d’abord au sein de la composante femme de la société civile de sa province où elle a été coordonnatrice avant d’être plébiscitée présidente de toute la société civile du Sud-Kivu en 2010.
« Ma candidature était soutenue par tout le monde sauf par moi-même parce que je n’étais pas convaincue. C’est à une semaine de
l’ élection que j’avais accepté et heureusement j’étais élue par 111 voix sur 123 votants malgré la présence des professeurs d’universités et des intellectuels de haute facture. C’est à partir de là que j’ai compris que la province avait besoin de moi », avoue-t-elle humblement.
« Pour moi, ce n’était pas un succès, mais plutôt une tâche difficile parce que je n’avais pas un niveau intellectuel suffisant pour diriger des hommes et femmes aussi haut placés intellectuellement.
Mais au finish, j’avais fini par comprendre que c’est l’union qui fait la force », confie-t-elle.
De cette expérience, Elodie Ntamuzinda qui a depuis collectionné de titres académiques (Licence, Master et doctorant en vue) affirme avoir retenu que diriger une équipe n’est pas forcément une affaire des diplômes mais plutôt celle de l’écoute, le partage des informations et la capacité de s’adapter à toutes les circonstances. La même attitude, elle dit la recommander à tous les acteurs de la société civile dont elle affirme n’avoir jamais quitté afin qu’ils puissent œuvrer pour l’instauration d’un cadre propice entre les gouvernés et les gouvernants. « La société et les pouvoirs publics ne sont pas des ennemies. Chacun doit jouer son rôle pour le bien-être de tous », conseil Elodie Ntamuzinda.
Elaguer à tout prix le « J »
Quand elle franchi les portails de la Commission Electorale Nationale Indépendante en qualité de membre de la prestigieuse plénière de l’institution d’appui à la démocratie, Elodie Ntamuzinda n’a pas encore son diplôme de licence (Bac+5), le niveau standard en République Démocratique du Congo (RDC) pour intégrer ce cercle privilégié de prise des décisions. C’est aisément qu’elle nous relate cette réalité inhabituelle qui n’aura pas été possible sans sa longue expérience dans le domaine social et l’appui de ses collègues de la société civile.
Fortement marquée par son expérience personnelle, Elodie Ntamuzinda est convaincue que ses succès tant dans la société civile qu’au sein de la CENI sont toujours les résultats de ce leadership participatif qu’elle a toujours cultivé et qui est devenu dans une certaine mesure, sa boussole.
Au sein de la CENI où elle est la doyenne ( féminine) des membres de la plénière, Elodie Ntamunzida a joué un rôle déterminant dans la sensibilisation au processus électoral des millions de femmes à travers le pays. Mais pour elle, la forte participation des femmes congolaises à l’opération de révision du fichier électoral et aux élections elles-mêmes a été le fruit d’un travail collégial de toute l’équipe de la Centrale électorale.
Le travail bien fait avant !
Toujours active pour la cause de la femme, dans le cadre de ses nombreuses structures féminines, Elodie Ntamuzinda n’est pas une femme ambitieuse pour autant. Comme ce fut le cas au sein de la société civile, elle a toujours considéré que servir son pays, c’est faire correctement son travail peu importe l’étendue de sa parcelle d’autorité. Devenir ministre du Genre, Famille et Enfant après son mandat à la CENI, Elodie Ntamuzinda n’a pas d’objection mais elle estime que le ministère n’est pas le seul endroit où on peut servir le pays.
« Je peux servir mon pays en faisant les champs, en encadrant les enfants, les femmes pourquoi pas au gouvernement. Mais je n’ai pas un choix précis. Ici à la CENI par exemple, ce sont les autres qui m’ont désigné », argumente-t-elle.
« Un honneur que je ne mérite pas ! »
Alors qu’elle est considérée comme étant un modèle pour toute sa génération, cette self-made-woman pense que les honneurs dont elle bénéficie aujourd’hui sont parfois disproportionnés d’autant plus que son combat a toujours été et restera collégial. « Personne ne peut refuser les honneurs, mais je pense que je ne les mérite pas autant, vu l’immensité de défis à relever. Dernièrement j’ai reçu les prix du Concile de New York, des Professeurs de l’Unikin (Université de Kinshasa) et ceux de l’Université de Floride. Je suis contente mais je dirais tout simplement que les succès sont pour toute l’équipe.»
Toute une philosophie dont elle estime indispensable pour sa génération.
José-Junior Owawa

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com