Plus de 3 mois après son entrée en fonction, le président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo n’a toujours pas désigné un premier ministre. Alors que la rumeur dans les réseaux sociaux et même dans les médias a avancé des noms, l’oiseau rare tarde toujours à venir. La longue attente n’en finit pas et dans l’opinion publique, sans forcément être au fait des arcanes des négociations entre le Front Commun pour le Congo (FCC) et le Cap pour le Changement (CACH), certains sont convaincus qu’il y a vraiment blocage. Mais lequel ? A cette question, nul ne répond vraiment, mais de part et d’autre, on feint l’optimisme.
Lorsqu’ils sont en public, les membres de la coalition FCC-Cach affirment que rien ne bloque, et que tout devrait bientôt partir comme sur des roulettes, qu’au-delà de tout, il faut laisser au « Chef », le pouvoir discrétionnaire de choisir un personnage qui conviendrait bien à sa logique, sa réputation d’homme propre et qui va entièrement endosser la politique du président de la république. Sauf que ce personnage doit venir du Front Commun pour le Congo. Cette plateforme revendique la majorité parlementaire. Aujourd’hui, cela semble être un acquis : le premier ministre viendra de la famille politique de Joseph Kabila, sans retournement de situation. Dans la nouvelle coalition formée entre le FCC et le Cach, des voix s’élèvent furtivement pour dire que les deux plateformes formant une même majorité à l’Assemblée nationale, le premier ministre peut venir aussi du Cap pour le changement. Cependant, tout porte à croire que le FCC ne pourra certainement pas passer une telle concession. Dans les médias, les membres de la coalition de l’ancien président Joseph Kabila ne s’en cachent pas : « le premier ministre viendra du FCC », a récemment souligné Aubin Minaku sur Radio France Internationale (RFI).
Il faut dire qu’après recoupement de plusieurs sources, certaines anonymes, d’autres plus ouvertes, deux faits majeurs peuvent expliquer le retard. D’abord, l’accord de gouvernance FCC-Cach est intervenu dans un moment agité de la vie politique au point que cet accord a besoin d’une grande maturation, car l’improbable issue de scrutin ne pouvait pas mettre à contribution les experts pour asseoir totalement toutes les procédures devant baliser le terrain pour l’exécution harmonieuse de cet accord de gouvernance. C’est pourquoi, en même temps qu’il s’applique, l’accord s’étudie et s’organise.
Des sources proches du dossier renseignent aussi qu’un couac existe autour d’un nom proposé par la majorité parlementaire mais pas accepté par le président. Situation normale car le nom proposé doit correspondre en même temps aux impératifs de la gouvernance de l’institution gouvernement, mais aussi aux engagements de l’institution président de la république. Seulement voilà, des sources bien informées font aussi allusion à des pressions faites sur le président de la république de la part de certaines puissances pour refuser le nom proposé pour de multiples raisons qui portent sur la vision de ces puissances. Au FCC, on se dit interpellé par cette pression qui viendrait de l’étranger pour une question hautement nationale. Cette situation pose justement l’équation de la double légitimité nationale et internationale et met le président Félix Tshisekedi dans une situation complexe car dans un pays à tradition nationaliste, accepter les diktats, encore faut-il relativiser diktat et « pression amicale », il est difficile de régler ce genre de question dans un bref délai. Alors à ce jour, cette question se pose au président comme un défi à deux volets : soit il accepte de nommer le premier ministre proposé par le FCC et assume devant ses « amis » son choix, qui serait dicté par l’intérêt de la nation, soit il convainc le Front Commun pour le Congo que son refus de nommer son candidat est dicté par tout sauf cette pression internationale. En réalité, cette question dépend de l’option que le président va lever. En homme sage, il devrait vite se décider car le temps lui, n’attend pas.
L’impatience grandit même chez ceux qui sont censés être au cœur des négociations. Dans une tribune récemment publiée à Kinshasa, une sommité du Front Commun pour le Congo s’est fendu de cette réflexion : « Une nation aussi fragile que la nôtre, rongée de l’intérieur par nos propres faiblesses et convoitée de tous les côtés, ne saurait plus longtemps répandre l’image d’une absence aussi criante à ce haut niveau de son système d’Etat. Si objectivement chacun peut constater que le pays n’est pas paralysé, cependant… La RDC a effectivement besoin de cette nouvelle relance. La période de campagne électorale a donné aux leaders et aux partis politiques l’occasion de présenter à la population leurs différents projets. Voici venu le moment de concrétisation. Les jours passent et ne rattraperont pas, il faut savoir démarrer à temps. Et les besoins sont immenses. »
Cette réflexion traduit l’agacement qui a gagné plusieurs dans la classe politique et dans l’opinion publique du fait d’une attente qui a fini par lasser. Au-delà des deux raisons majeures, selon certaines autres indiscrétions, la troisième du blocage viendrait du fait que le Front Commun pour le Congo voudrait bien se tailler la part du lion dans la répartition des postes. Cette boulimie qui a réussi dans les institutions à mandat électif, rencontrerait une opposition farouche de la coalition Cap pour le changement. Pas question donc de réduire à une portion congrue la part de la famille politique du chef de l’Etat dans l’exécutif, argumenterait-on en sourdine, au Cap pour le Changement.
A présent, il faut dire que le principe veut que le futur Premier ministre entreprenne des consultations pour la formation du gouvernement. Mais étant donné que la nommination du chef du gouvernement a pris trop de temps, les deux familles politiques ont choisi de faire d’une pierre, deux coups. Avoir un chef de l’exécutif et son équipe en un temps record, analyse un connaisseur de la vie politique congolaise. En attendant, le suspens continue et l’optimisme des uns et des autres n’est pour l’instant que de façade.
Mais le pouvoir ayant un mystère rassembleur, l’on est loin de la fissure de l’alliance FCC-Cach annoncée par certains.
Patrick Ilunga / WAK

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com