Ancien juge de la Cour constitutionnelle, le Professeur de Droit constitutionnel Jean-Louis Esambo est avant tout un juriste de renommée. Réputé pour sa rigueur, cet enseignant dans plusieurs universités congolaises rompt le silence, en donnant sa lecture des faits sur cette question qui monopolise le débat public depuis la publication des résultats provisoires des législatives nationales et provinciales issues des scrutins du 30 décembre dernier. Dans cette interview exclusive accordée à Géopolis Hebdo, l’homme se montre hostile aux discours qui tendent à crédibiliser l’hypothèse d’une majorité parlementaire du Front Commun pour le Congo (FCC) avant la constitution des groupes parlementaires. Pour lui, aucune plateforme électorale ne peut, à ce jour, prétendre détenir la majorité parlementaire qui permet au Chef de l’Etat de désigner le formateur du gouvernement. D’où, son appel à Félix-Antoine Tshisekedi afin que celui-ci joue pleinement ses prérogatives constitutionnelles. Dans les lignes qui suivent, l’intégralité de l’interview.
Jean-Louis Esambo, vous êtes professeur de Droit constitutionnel mais également ancien juge de la Cour constitutionnelle, que signifient les notions de Formateur et d’Informateur du Gouvernement partant de la Constitution congolaise ?
D’abord, je voudrais préciser une chose. Je réponds à votre invitation en ma qualité de professeur de Droit constitutionnel et non comme ancien juge de la Cour constitutionnelle. Les notions de Formateur et d’Informateur sont entrées dans le système politique congolais à partir notre attache, il y a quelques années avec la Belgique. Donc, c’est une expérience du régime parlementaire belge que nous, nous avons hérités. Et en Belgique, cela est une pratique constitutionnelle qui n’a pas été consacrée dans la Constitution. Au Congo, cette pratique a servi de repère dans la rédaction de l’article 78 de la Constitution.
L’Informateur est une personne que le Chef de l’Etat désigne, de sa propre initiative lorsque à l’issue d’une élection générale, il n’est pas possible de dégager clairement une majorité parlementaire. Le Chef usant de ses prérogatives constitutionnelles, peut désigner une personnalité à qui il confie la mission d’Informateur. Ce dernier est chargé de pouvoir prendre contact avec les députés nationaux issus des élections afin de leur proposer un deal avec comme objectif d’accompagner le Gouvernement qui va être mis en place.
Dès que l’Informateur réunit la majorité des députés qui souhaiteraient accompagner le Gouvernement, il fait rapport au Chef de l’Etat qui à son tour, peut nommer un Formateur. Donc, un Premier ministre sur la base du rapport lui présenté par l’Informateur. Dans la pratique, il peut arriver que l’Informateur soit lui-même Formateur, tout comme l’Informateur peut se limiter au rôle de réunir la majorité et s’en remettre au Chef de l’Etat. En 2007, à l’issue du deuxième tour de l’élection présidentielle, le Chef de l’Etat avait désigné Monsieur Antoine Gizenga comme Informateur et il s’est avéré que l’Informateur est devenu plus tard, le Formateur du Gouvernement. Dans le deuxième exemple, l’on se souviendra de la nomination de l’ancien député national Charles Mwando Nsimba comme Informateur qui n’était pas devenu Formateur comme Antoine Gizenga.
Quelle est votre lecture de l’architecture politique actuelle issue des élections du 30 décembre dernier où le Président de la République élu n’a pas de majorité au Parlement, qui est totalement acquis à son prédécesseur grâce à son Front Commun pour le Congo (FCC). A quoi devrons-nous s’attendre, à la nomination d’un Formateur ou d’un Informateur ?
D’abord, il est faux de considérer que le FCC constitue un sujet de droit pour prétendre avoir la majorité. FCC, LAMUKA (la coalition de l’opposant Martin Fayulu), CACH (Cap pour le Changement du Président de la République) sont des plateformes électorales qui ont été constituées en vue de la conquête électorale. Ceux qui sont considérés comme sujets de droit, desquels sont arrivés des députés au niveau de l’Assemblée nationale, ce sont les partis et regroupements politiques. Ce sont ceux-là qui forment la majorité parlementaire au sein de l’Assemblée nationale.
Et donc à ce jour, il n’est pas évident de dire qu’il y a un parti ou regroupement politique qui a la majorité au sein de l’Assemblée nationale. Pourquoi ? Parce qu’à l’issue des élections, l’Assemblée nationale s’est réunie en session extraordinaire avec un bureau provisoire qui, notamment a eu trois missions. La première mission est de valider les mandats des députés (parce qu’ils ne peuvent agir que lorsque les mandats auront été validés). La deuxième mission, c’est d’élaborer le règlement intérieur (ce qui est fait). Il reste seulement les discutions d’adoption au niveau de la plénière. La troisième mission, c’est d’élire le bureau définitif. Après l’élection du bureau définitif, ou même quelques jours avant cette élection-là, chaque député, conformément au règlement intérieur, doit pouvoir s’afficher politiquement. C’est-à-dire qu’on doit constituer les groupes parlementaires. On ne peut faire partie d’un groupe parlementaire que lorsque son mandat a été validé. Et donc avant que le mandat ne soit validé, on ne sait pas qui compose un groupe parlementaire de l’opposition comme de la majorité. C’est en s’affirmant comme appartenant à un groupe parlementaire qu’on peut dégager la majorité en se disant voilà, tel regroupement ou parti politique a au tant des députés. Avant la constitution des groupes parlementaires, il ne faut pas scientifiquement et juridiquement prétendre avoir une majorité.
En terme clair Professeur, dans le contexte en présence, que fait le Président Tshisekedi, nommer un Informateur ou un Formateur pour mettre en place son Gouvernement ?
Dans les conditions actuelles, le Président de la République devra nécessairement nommer un Informateur. Il peut être désigné dans les rangs du PPRD (Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie) ou de l’AFDC (Alliance des Forces Démocratiques du Congo). Bref, d’un parti proche du FCC ou d’une autre formation politique. C’est cet Informateur-là qui va dégager la majorité capable d’accompagner le Gouvernement et de soutenir son programme d’action.
Mais dans l’entretemps, les députés nationaux qui se reconnaissent au FCC étaient autour de Joseph Kabila, le chef de file de la coalition dans sa ferme de Kingakati située dans la partie Est de Kinshasa pour signer « l’acte d’engagement » qui se résume par l’unité autour de l’ancien Président. Quelles peuvent être les conséquences juridiques de cette initiative sur la suite des événements ?
Par rapport à ce qui s’est passé à Kingakati, il y a deux questions de Droit qui se posent. Premièrement, on aurait pu penser que l’ancien Chef de l’Etat, Joseph Kabila jouerait le rôle d’Informateur parce qu’il fait venir de vers lui, des députés qui se réclameraient du FCC et qui avaient besoin de se faire identifier. La suite était alors correcte qu’on le désigna comme Informateur et il ferait ce travail-là.
Deuxièmement, si le FCC a la majorité à l’Assemblée nationale, ce qui s’est passé à Kingakati n’aurait pas dû avoir lieu parce que la majorité est là et n’avait plus besoin d’être identifiée, pourquoi alors faire venir les gens et leur faire signer un document.
Troisièmement, j’insiste que le FCC n’est pas un sujet de Droit électoral. C’est une plateforme électorale qu’il ne faut pas confondre avec un parti ou regroupement politique au sein duquel se trouvent les députés dont les pouvoirs ont été validés par la plénière de l’Assemblée nationale.
Le FCC et le CACH ne semblent divisés sur la question. Le premier prétend détenir la majorité au Parlement et demande au Chef de l’Etat de passer directement à la nomination d’un Formateur alors que le second s’accroche à votre thèse de la nomination d’un Informateur, à quoi pourrait-on assister en cas de persistance du bras de fer entre les deux parties ?
La désignation d’un Informateur ou d’un Formateur est une prérogative constitutionnelle du Président de la République. Il ne la partage avec personne. S’il veut jouer son jeu, donc, se conformer à la constitution, il désignerait soit un Informateur, soit un Informateur. Ces prérogatives-là, le Chef de l’Etat ne les détient ni du CACH, ni de LAMUKA, ni encore du FCC.
Propos recueillis par José-Junior Owawa

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com