Le président du Conseil constitutionnel de l’Algérie Tayeb Belaiz a démissionné hier mardi. Il faisait partie des personnalités contestées par le mouvement populaire. Ce mouvement de protestation qui a emporté le président Abdelaziz Bouteflika ne recule devant rien. De mouvement pacifique, la protestation en Algérie commence à avoir des accents de violence. Ce pays, épargné du printemps arabe de 2010 et 2011, s’est construit dans la douleur depuis l’indépendance. C’est à l’issue de 8 ans de guerre avec le pouvoir colonial que ce pays accède à sa souveraineté nationale. Cette souveraineté que le pays défend bec et ongle. Les tâtonnements de l’histoire ont ensuite amené une démocratisation. Une expérience qui s’est achevée brutalement avec le début de la guerre civile en 1991. Ce pays important par sa taille et son histoire tangue encore depuis la tentative du président Bouteflika de briguer un cinquième mandat. Les protestataires continuent à s’opposer à ce qui peut ressembler à un simple changement de pion, nous dit Nassima Oulesbir. La rédactrice en chef du quotidien Algérois El Watan et lauréate du prix CNN en 2013 qui a accordé une interview exclusive à Géopolis Hebdo, a brossé le tableau d’un pays où le ras-le-bol populaire, «la marche du rejet » menace de tout emporter. Interview exclusive
GH : Quelles sont les forces à l’origine de cette contestation ?
Nassima Oulesbir : A l’origine, ce sont bien des appels anonymes lancés sur facebook par différents internautes qui ont appelé à rejeter une candidature de Bouteflika à un cinquième mandat, une candidature qui sera inéluctablement validée et qui aboutira sans surprise aucune à un cinquième mandat d’un président vieux, mais surtout très malade, aphasique depuis son AVC en 2013. Son dernier discours à la Nation date de 2012 et la jeunesse d’aujourd’hui, polyglotte, éduquée et ouverte sur le monde de par les réseaux sociaux n’a connu que ce président-ci, qui ne s’est jamais adressé à elle. Contrairement aux pays du dit « Printemps arabe », ce ne sont pas particulièrement des cyber-activistes ou des militants particuliers qui ont lancé ces appels. Cela ne semble pas, à priori, faire partie d’une organisation précise. Cela dit, des « facebooker » influents étaient parmi les premiers. Il faut dire qu’il était très facile pour toutes les catégories sociales de répondre positivement à l’appel tant elles se sont senties humiliées par la situation et exclue de toute décision. L’Algérien est en train en premier lieu de redevenir citoyen, de dire qu’il existe et qu’il est au centre des décisions désormais. Le 22 février au matin, les citoyens étaient encore dans l’expectative. Y aura-t-il manifestation ou pas ? La prière du vendredi a fait don effet. A la sortie des mosquées, il est facile d’entreprendre une marche et d’être rejoints par d’autres. Le fait qu’elles se soient déroulées dans le calme absolu, sans le moindre débordement a encouragé les citoyens a sortir plus nombreux. On a compris que face au nombre important de manifestants, la police ne pouvait pas intervenir, ce qu’elle n’avait pas même pas tenté de faire. Ceci aussi déconstruisait la rhétorique mettant en garde contre les risques de violences
Pourquoi malgré la démission du président les manifestations continuent ?
N.O : Il y a deux lectures possibles. La première serait que les autorités ont tardé à répondre à l’appel. Dans sa première déclaration, le chef d’Etat-Major de l’armée a plutôt mis en garde contre des risques d’embrasement et de manipulation. Alors que le Chef d’Etat sortant était hospitalisée, sa candidature a bien été déposée dans l’ignorance des revendications de la population. Puis, la proposition d’aller vers un cinquième mandat qui ne durera qu’une seule année et la promesse de tenir une conférence inclusive en vue d’une période de transition et d’élections présidentielle durant cette année. La proposition a montré surtout que les autorités n’avaient aucun plan et elle a été jugée ridicule. Avec la démission du premier ministre et la nomination d’un autre, on a compris qu’on allait essayer d’absorber la colère par des changements de têtes seulement. Le système reste en place. Cette manœuvre a été qualifié de « changement de pions » seulement, à partir de là, la revendication « ils doivent tous partir » a fait du chemin et elle semble se renforcer de jour en jour. Après, on ne sait pas si cette revendication de changement profond n’allait pas de toute façon avoir lieu. Les Algériens ont vu ce que les changements de façade donnaient dans d’autres pays arabes. Quelle qu’eut été la réaction des autorités et de l’armée, cette revendication allait apparaître.
Y a-t-il une quelconque influence extérieure dans cette montée au créneau des populations comme on l’a vu dans certains pays voisins à l’Algérie ?
N.O : A priori non. Certes, les appels se sont propagés sur internet de façon assez anonyme. Mais certains « influenceurs » ou militants qui ont bénéficié de formations d’ONG connues ont également participé à ces appels mais de façon beaucoup moins importante et moins organisée qu’elle ne l’a été ailleurs. Cela étant dit, ces personnes ont adhéré aux marches, certaines sont rentrées de l’étranger, essentiellement la France pour participer à une marche ou deux à Alger. Elles organisent également le rassemblement à Paris et activent énormément sur le Net. Sont-ils à l’origine des appels ou ont-ils seulement adhéré à la vague ? Il est difficile de trancher. L’élément principal est qui fait consensus est que la situation ne pouvait plus durer. Le ras-le-bol est général et le combat est légitime et approprié. Maintenant, il ne faut pas perdre de vue que les Algériens ont cet « avantage » d’être déjà passé par là quelque part et surtout d’avoir bénéficié des expériences ailleurs d’ingérence étrangère évidente, que ce soit dans les révolutions colorées ou le Printemps arabe. Le nombre important de slogan contre toute ingérence étrangère, française et américaine en particulier, témoigne de cette vigilance de ne pas se voir confisquer le mouvement.
Y a-t-il de main des islamistes dans ce mouvement ?
Absolument pas. Ils ne sont non plus pas visibles. Mais, la carte des islamistes pourrait être utilisée par le pouvoir pour casser le mouvement. Il s’agit là d’une inquiétude de certaines parties, vu que l’Algérie a traversé une décennie noire où les islamistes étaient impliqués. Mais je pense que ces derniers gardent le profil bas même s’ils veulent se positionner. Cette carte et option n’est plus valable de nos jours. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que l’islamisme radical n’a plus sa place en Algérie. Reste l’islamisme modéré, ils sont déjà au pouvoir et ils sont discrédités au même titre que les autres partis du pouvoir.
Propos recueillis par WAK

Journaliste intéressé par les grands ensembles régionaux (Comesa, EAC etc), mais aussi intéressé aux questions environnementales et sécuritaires.
E-mail : patilunga35@gmail.com